Knolan n’avait pu échauffer ses jambes lors du prologue, effort trop intense et trop rapide pour ne serait-ce que balayer le lactique. Un goût amer de trop peu à l’issue de cette boucle dans les rues de Melbourne. Guère le temps de cogiter, d’élaborer, juste…l’effort. Primaire, entier, ressenti dans toutes les fibres du corps. Pendant deux grosses minutes. Impossible de se décontracter ensuite, en sus d’aller dans la tente anti-dopage, qu’on aurait aussi bien pu y passer avant pour faciliter la vie à tous. C’est quand l’on lui avait dit son ordre de passage que Knolan avait le plus soupiré, résigné à l’attente : 4 bonnes heures à poireauter, pour 15 minutes d’échauffement, 15 autres de protocole, 2 de course, et retour illico à l’hôtel après le passage par les juges de paix du cyclisme. Pour certains, l’on aurait pu qualifier cela de belle journée. Pour Knolan, ce n’était que du gâchis.
La première étape, toute plate, n’avait rien fait pour alléger son humeur. On pouvait littéralement dire que Knolan s’était fait chier. Sur lui-même. Ah, l’ennui, des boyaux qui se desserre sous le relâchement, et voilà ce que c’était d’être la risée de tous, le carnaval de la pitrerie. Un néo-zélandais pour courir en Australie ? Ah ! Le coup du sort qui frappait Knolan assurément. D’ailleurs, lorsqu’il avait finalement terminé l’étape, à plus de 5 minutes du vainqueur pour se complaire dans son malheur et sa honte, Knolan avait entendu les autres commencent à l’appeler « Kiwi Dumoulin » d’un ton acide. Seule la 8e place d’Halvy l’avait tiré de sombres pensées ce soir là –malgré la victoire de Callum Scotson au kilomètre qui avait gêné le sprint du peloton.
Quand bien même Knolan avait l’envie de partir, l’envie d’être seul à l’avant et de se fourrer des bornes dans les jambes à vive allure, il n’était pas parti devant lors du deuxième jour, alors même que la perspective de franchir le Mont Bunniyong en tête paraissait symbolique. Ce n’était pas dans le plan. Et de toute façon, l’échappée n’avait pas réussit à se soustraire au regard meurtrier et au souffle chaud des Mitchelton carburant à vive allure. Halvy et Knolan avaient tranquillement rejoint l’arrière du peloton pour se préparer au lendemain, laissant les secondes et les minutes défiler le long de la montée, le long des panneaux kilométriques. Jai Hindley s’était imposé. Mais ce n’était pas le plus important.
L’alcool avait visiblement embrumé les esprits de la Mitchelton au départ de la 3e étape. Quoi de plus normal, avec deux victoires acquises et un départ effectué de la…Mitchelton Vinery. Exotique, charmant…Pittoresque ! Enfin, presque tous dans la brume du matin. Brent Bookwalter, le vétéran américain, avait bien suivi le mouvement orchestré par Knolan & Halvy, démarrant en trombe dès la ligne de départ, arrivés plus tôt que d’habitude, exprès pour monter ce coup de grande volée –ou en tout cas d’envolée par monts et par vaux au minimum. Pas de danger pour les Mitchelton, avec leur vétéran et bientôt ex-professionnel face à deux jeunots naviguant très loin au général. L’écart avait grimpé en flèche, atteignant des sommets. Jusqu’à ce qu’ils atteignent le pied du Lake Mountain. Là, Halvy s’était sacrifié : il se savait le plus faible. Knolan s’était mis dans sa roue, Bookwalter en dernière position. Il n’y avait pas vraiment de bonne position, les deux se jaugeant derrière le travail de bûcheron abattu juste devant eux. Halvy s’était finalement écarté après un kilomètre ou deux de montée à peine.
Knolan s’était senti très fort lorsqu’il avait attaqué à plusieurs reprises, lançant juste un hochement de tête à Halvy –qui voulait cependant tout dire de la confiance et de l’amitié qui les liait-, n'était il pas le Dumoulin Néozélandais, comme se moquaient les autres coureurs ? Mais c’était sans compter sur l’expérience du plus haut niveau de compétition cycliste. Bookwalter s’était accroché comme un morbac, décrochant quelques mètres avant de revenir à l’opiniâtreté. Knolan, se retournant sans cesse, avait pu apercevoir les poils gris striant désormais la barbe courte et les cheveux de Bookwalter, sa sueur coulant dedans, arrachant des morceaux de vitriol, des essaims de tension : des gouttes perlant au ralenti, dans la vitrine de l’instant, pour venir s’écraser sur le bitume amorphe et fondu. Et puis les pentes s’étaient adoucis, au contraire du cours du temps, sous les rayons catatoniques du soleil. Le rapport de force s’était inversé. Bookwalter avait réenclenché le gros plateau, désormais à son avantage après 4 kilomètres dur, pour se frotter à 16 bornes de faux-plat. Knolan l’avait laissé faire, gardant sa roue, mais avait finit par exploser à 2 panneaux du but. Deux panneaux "mille" qui le toisaient d’un air narquois. Ce n’était pas aujourd’hui que la jeune génération briserait la vieille garde.
Knolan franchit la ligne avec 27 secondes de retard sur Bookwalter, en sudation totale, tout comme l’américain. Celui-ci, d’un geste mou, lui tendit alors sa main.
A- Lui serrer la main, bon perdant. C'était l'un de ses dernières courses, vous avez l'avenir devant vous
B- Rejeter sa main, amer. C'était VOTRE moment, VOTRE victoire, ce qui avait été PREVU !