Dès mon décollage depuis Orly avec l'équipe pour le sol émirati, je sentais ce petit frémissement intérieur au sein de la dizaine d'hommes qui me tenait compagnie. Je ne sais pas comment le dire, mais ils sentaient tous, aussi bien les coureurs que le staff qui les accompagnaient, qu'ils pouvaient faire quelque chose lors de leur prochain rendez-vous du calendrier.
En tout cas, ma première nuit a été des plus difficiles, pour multiples raisons. D'abord la chaleur étouffante, d'autre part les bestioles nocturnes en tout genre, mais aussi et surtout cette dose d'adrénaline que mes acolytes de la semaine avaient réussi à faire monter en moi, simple « suiveur » de leur épopée cycliste. Après une journée passée au pied de la piscine de l'hôtel pendant que Pierre-Luc PÉRICHON et consort étaient partis s'entrainer, les choses sérieuses ont commencé le lendemain avec un contre-la-montre individuel dans les rues de Sharjah. Puisque, si j'étais présent aux Emirats Arabes Unis, c'était pour suivre les pas des coureurs de la Fortuneo-Samsic sur le Sharjah Tour. Merci pour votre brillante idée Boss.. Enfin bon j'y étais, placé quasiment sous la flamme rouge, qui pour les non-initiés comme je l'étais encore il y a quelques semaines, signifie l'entrée dans le dernier kilomètre. Un à un les coureurs passaient, pliés sur leur machine, écrasant les pédales pour rejoindre la douche au plus vite. Pierre-Luc PÉRICHON aura été celui qui m'a fait la plus forte impression.. de « mon » équipe, puisqu'il a terminé tout de même assez loin du vainqueur, un Irlandais dénommé MULLEN, champion national de cette spécialité.
Seconde journée de course, première étape en ligne comme on dit dans le jargon. Cette fois-ci, j'ai eu la chance d'être dans l'un des deux véhicules de l'équipe, et coïncidence ou non, rien ne s'est passé pour la formation. Aucune attaque, aucune crevaison, aucune chute. Rien. Nada. J'ai juste vu de temps en temps Jérémy MAISON redescendre à notre voiture pour prendre des bidons et les ramener à ses équipiers. Une journée calme où Maxime DANIEL aura pris la 8è place d'un sprint massif. Anecdotique.
Jour suivant, les sourires aperçus au départ de la France commençaient à s'estomper pour laisser place à des rictus beaucoup plus fermés. Une tension palpable mais pas insoutenable. Intérieurement, j'étais presque sûr que certains jouissaient de cette atmosphère. Et comme s'il fallait l'évacuer au plus vite pour d'autres, les premiers tours de roues les voyaient se mettre en évidence pour prendre la tête de la course, non sans mal. Car oui, cette troisième étape allait assurément décider de l'issue de ce Sharjah Tour. Toutefois, c'est ce qu'on m'avait relaté, puisque je n'avais pas vu le début de cette étape. J'étais positionné là où m'avaient conseillé les coureurs locaux, non loin du sommet de la dernière difficulté, en plein milieu de cette pente ahurissante. Et c'est là que j'ai vu la différence de souffrance sur les visages, entre un Kévin LEDANOIS, traits sereins et fermés, regard fixe, et un Romain LE ROUX, faciès fatigué et regard vide. Mais même le jeune homme frais n'a rien pu faire lorsque Jan BAKELANTS s'est dressé sur les pédales pour basculer dans le tunnel en tête. Et cela a été la même chose pour le reste de ces adversaires, qui n'ont pu que constater la force du Belge cette fois-ci.
Pour la dernière étape, j'ai préféré profiter de la climatisation de ma chambre d'hôtel avant de rejoindre la ligne d'arrivée et sa chaleur suffocante, elle, qui me permettait de suivre parfaitement la course du fait qu'il s'agissait d'un circuit tracé dans les rues de Sharjah. Je ne suis descendu qu'à l'entame des deux derniers tours de circuit, et au moment d'atteindre la dernière ligne droite, le peloton revenait en même temps sur celle-ci, en reprenant l'avant de la course. Et lors de ce début d'ultime boucle, j'ai revu ces mêmes expressions qu'il y a cinq jours sur mes compagnons de séjour, avec un petit plus, presque imperceptible mais bel et bien présent, quelque chose dans le regard, la détermination. C'est là, que j'ai été pris à nouveau par ce sentiment d'excitation, exactement le même qu'à mon arrivée ici, enfin à un détail près là aussi. Il était beaucoup, nettement, énormément plus fort. Quelques minutes plus tard, quand j'ai une fois de plus entendu les clameurs du public et que j'ai vu débouler ces garçons à une vitesse folle, et que mon corps s'est mis de lui-même à faire des mouvements mélangeant joie et encouragements lorsque Pierre-Luc PÉRICHON a pris la tête des opérations pour ne plus la lâcher, là, à cet instant précis, j'ai compris. L'odeur de la victoire.. Voilà ce dont il s'agissait depuis le début. Tous, directeur sportif, mécaniciens, kinésiste, coureurs l'ont senti dès leur envol. Elle ne pouvait pas leur échapper cette semaine, et elle a bien terminé sa course entre leurs mains. La victoire, la première de leur saison, est là-bas, aux Emirats Arabes Unis.
Voilà pourquoi le cyclisme n'est pas un sport comme les autres.