La consécration, après des années de dur labeur ! Même si c'est entré dans les moeurs, je trouve bien étrange pour un homme de porter une robe. Cependant, ce jour-là, j'en étais fier... Bien que la perte de mon acolyte quadrupède survenue la veille me tailladait secrètement le cœur.
N'ayant de cesse que de passer mes mains sur ma simarre pour que celle-ci reste bien en place, resserrant mon épitoge qui me donnait un air encore plus soigné et intellectuel que ce que je laissais déjà transparaître, j'étais dressé là, devant cette assemblée, à parler de mon modèle prototype d'implantation mini-invasive de cœur avec prise en charge de sa dimension ischémique par l'implication de cellules souches mésenchymateuses de moelle osseuse autologue.
Je me rappellai que, il y a près de 20 ans, je travallais sur le remplacement valvulaire aortique par voie endovasculaire. TAVI, en anglais, pour Transcatheter Aortic Valve Implantation. L'éminent professeur qui m'avait ouvert les portes de son savoir dans ce cadre, en toute humilité, était présent. Le sujet du jour était loin de lui être inconnu... L'émotion était forte et, bien que je devins ce jour-là chirurgien à la double spécialisation cardio-vasculaire, mes canaux lacrymaux me dérangeaient impestivement bien que ma fierté et ma posture empêchaient leur production. Après tout, je ne suis qu'un Homme...
Dan était également là, près de mes parents. C'était devenu un ami, avant de devenir un ami de la famille. Dans le même temps que ma toute première étude clinique, celui-ci m'avait beaucoup enseigné dans le cadre d'un travail de recherche sur l'implication de l'oxygénation par membrane extra-corporelle dans le cadre du traitement du choc cardiogénique. J'avais également suivi avec intérêt son travail qui lui octroya le grade universitaire concernant les effets de l'auto-rétroperfusion myocardique. Il m'a appris à observer, à réfléchir, à comprendre. Il m'a appris à inciser, écarter, réparer, suturer. Avec lui, j'ai vécu des joies et des peines parsemées de coups de sang. Il m'a aidé, tout au long de ma formation, à rester l'Homme que j'étais et à avancer vers celui que je voulais être. Il m'a encouragé, avec mon père, à maintenir quelques loisirs pour ne pas sombrer dans le cercle vicieux de l'appât du gain, pour ne pas sombrer vers mon enterrement hospitalier.
Je sentais le regard aimant de mes proches et de ma femme qui, il faut bien l'avouer, avait subi toutes mes humeurs durant ce travail. Le travail d'une vie ! Appliqué et impliqué, je ne comptais pas mes heures. Notre petit Emile, si jeune et déjà si bavard, me le reprochait assez. Je passais, en moyenne, près de 80 heures par semaine au sein du CHU dans lequel j'étais rattaché. Et ce sans compter les recherches approfondies, les traitements de données et la rédaction que je réalisais à la maison. Juste pour être là, près d'eux...
Je faisais cela pour aider autrui, pour rendre le monde meilleur. Au final, j'ai souvent pensé aux autres avant de penser à moi. Je me lésais si cela pouvait permettre aux personnes que j'aime d'être dans une situation confortable. Là encore, je perpétuais ce schéma, cette envie de pouvoir subvenir à leurs besoins en étant reconnu et réputé pour mes qualités. Mieux encore, j'avais cette envie de leur apporter un cadre idyllique. D'autant plus que, bientôt, une petite ingénue sortant des roses allait nous rejoindre.