« Pour connaître 10 000 ans d’histoire il faut aller à Pékin mais pour comprendre la Chine actuelle il faut aller à Shanghai ». A la lecture du Guide du Routard, que je termine transversalement dans mon siège, le ton est donné. Qu'il était utopiste de penser que j'allais voyager à l'autre bout du monde sans stress ! Je venais de tout quitter : mes parents, ma famille, mes amis, mon job, ma structure. Pour certains, c'était un pari fou. Pour d'autres, c'était une chance. Une folie chanceuse, disons. Plus qu'une folle chance ! Le changement me faisait peur. Moi qui avais mis tant de temps à me débarrasser de tous ces éléments délétères à ma santé, moi qui avais tant souffert d'une relation qui m'étranglait petit à petit. Je me rongeais, dans tous les sens du termes. Mes ongles étaient quasiment à sang et je répétais, inlassablement, presque hypnotisé, ce mouvement qui m'agace tant lorsque je vois quelqu'un le réaliser.
Dans mes pensées, seuls l'odeur de jasmin provenant du cou de cette jolie hôtesse et les vibrations dans mes genoux provoquées par les mouvements perpétuels du gamin de devant parvenaient à m'en tirer. Je pris un coup, plus violent qu'un autre, et commençai à m'agacer. Avant de me reprendre... En levant la tête, je compris qu'il avait était provoqué par l'atterrissage. Tellement pensif que je n'ai même pas pris le temps de contempler la vue du ciel, de toutes ces lumières qui grouillaient déjà. « Moien, Shanghai. Wéi geet et ? »
Une fois ma valise récupérée et les contrôles passés, je me retrouvai dans le hall d'accueil. Tel un tsunami qui commence tout juste à déferler sur le monde, la vague humaine m'emporta. Je me retrouvais, bientôt, côté passager d'une voiture aux couleurs de ma formation. Sans trop comprendre tout ce qui se passait. On me tendit un bol. En ouvrant le couvercle, de la fumée s'échappa. C'était un bol de nouilles. Pourtant peu économe sur ma consommation en vol, j'étais affamé. Je ne perdis pas une seconde.
Stupeur ! Elles étaient si épicées que ma bouche en cracha des flammes et la fumée jaillit maintenant de mes oreilles. Bientôt, mes yeux ne savaient plus où donner de la tête. Ni aucun de mes sens, d'ailleurs. Des couleurs chatoyantes, des panneaux publicitaires lumineux en passant par celles des échoppes de rue et une architecture Ô combien dépaysante. Les vendeurs ambulants étaient déjà aux quatre coins de rues, les klaxons résonnaient en fracas contre les devantures. L'odeur des boui-boui, déjà pleins à cette heure si matinale, d'où s'échappe des délicieux fumets, était mêlée à celles de rats morts et de remontées d’égouts. Je contemplais cette longue avenue en mouvement et me dis que je ne voulais être nul part ailleurs.
La voiture tourna à droite dans une rue en travaux dans laquelle la poussière et le bruit furent étouffants. Avant de s'arrêter. Je descendis avec mon directeur sportif qui ne m’offra guère le luxe de me porter mes valises. Après deux étages scabreux gravis sans ascenseur, celui-ci ouvrit une porte à moitié disloquée et pénétra dans l'appartement où se trouvait mes trois nouveaux compagnons, attablés. Souriant malgré les gouttes de sueur qui dévalaient mon visage, je les salua dans un chinois incertain et commença à plaisanter en anglais pour démarrer la conversation. J'eus droit à un regard, un petit signe de main et un hochement de tête avant qu'ils ne reprennent leur discussion, comme si de rien n'était. Li m'emmena dans ma "chambre" où un matelas était posé à même le sol. Une chaise se trouvait près de la fenêtre. Il me dit de m'installer.
Mes épaules s'affaissèrent au point de lâcher, lourdement, la valise et le sac à dos que je portais difficilement depuis mon entrée dans les lieux. Des frissons angoissants m'habitaient au point de me ruer, rapidement, sur cette chaise en bois qui craquait dès qu'on la sollicitait. Je jetai un regard par la fenêtre avant de fermer les yeux et de soutenir ma tête grâce aux creux de mes deux mains... « Putain ».