Macron et LRM se préparent aux scrutins intermédiaires
Pour le chef de l'Etat et ses équipes, les élections européennes et municipales doivent permettre la poursuite de la recomposition politique
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Il marche sur l'eau... jusqu'à quand? Pour Emmanuel Macron, qui a conquis l'Elysée au nez et à la barbe de tous les partis, en bouleversant les vieux schémas politiques français, les élections intermédiaires auront une valeur de test. Un retour au réel en somme, comme pour ses prédécesseurs.
Le résultat des législatives partielles qui se sont tenues le 4 février dans le Val-d'Oise et le Territoire de Belfort ont envoyé un premier signal, inquiétant, à l'exécutif. Deux candidats Les Républicains (LR) l'ont emporté sur deux prétendants soutenus par la majorité, malgré l'appui pour la candidate La République en marche (LRM) du Val-d'Oise du premier ministre, Edouard Philippe, et du patron du parti, Christophe Castaner. " Macron n'échappe pas à toutes les lois de la vieille politique " , analyse Chloé Morin, de la Fondation Jean-Jaurès, qui rappelle que les scrutins intermédiaires sont toujours délicats pour le pouvoir en place.
Au sommet de l'Etat, on s'est employé à relativiser le résultat de ces deux partielles, marquées par une très faible participation. " Localement, c'est souvent le réseau des militants et des sympathisants qui compte le plus. C'est cela qui a joué dans ces départements historiquement ancrés à droite , estime un proche du chef de l'Etat, qui reconnaît néanmoins que ces deux élections mettent l'accent sur le fait que LRM est un mouvement qui a impérativement besoin de construire son ancrage local en vue des prochains scrutins. "
M. Macron le sait. Et si le président de la République dit se méfier des manoeuvres d'appareils, ses équipes et lui préparent en réalité avec minutie les prochaines échéances, à commencer par les européennes. Le scrutin de mai 2019 sera en effet le premier grand test politique pour celui qui a gagné la présidentielle en portant un discours pro-européen plus fort que la plupart de ses concurrents.
Depuis son élection, il a tenté d'entretenir cette flamme, lors de ses discours à Athènes le 7 septembre 2017, puis à la Sorbonne le 26 septembre. Le 17 avril, il s'exprimera devant le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg. Une première pour lui, alors que les députés européens viennent de lui infliger un revers en votant, le 7 février, contre la création de " listes transnationales " pour les élections de mai 2019, une idée que défendait ardemment M. Macron.
Pour le président, l'enjeu des européennes est double. D'un côté, il doit démontrer que son volontarisme peut se traduire dans les urnes. " Il veut prouver aux Français que son Europe de la Sorbonne est réalisable " , explique l'Elysée. Une démonstration qui impose que LRM arrive en tête dans seize mois. De l'autre, M. Macron veut profiter de ce scrutin pour poursuivre son entreprise de recomposition du paysage politique français. " On va mettre le bazar en Europe comme on l'a fait il y a un an en France, affirme le député (LRM) du Val-d'Oise, Aurélien Taché . L'idée, c'est de dépasser encore les clivages traditionnels, en rassemblant tous les pro-européens. "
" Le test par excellence "Les manoeuvres en ce sens ont déjà commencé. En plus du MoDem, allié de LRM depuis les législatives, M. Castaner a rencontré récemment Jean-Christophe Lagarde, le patron des centristes de l'Union des démocrates et indépendants (UDI). Ces premiers échanges augurent-ils de la formation d'un " grand mouvement central " , comme souhaité par le maire de Bordeaux, Alain Juppé, capable de rallier, au centre droit, les opposants chez LR à la ligne dure de Laurent Wauquiez, et, au centre gauche, des radicaux ou des déçus du PS? " Macron doit réunir des gens issus de la droite classique pro-européenne, du centre, de la gauche sociale-démocrate et des écologistes " , appuie Daniel Cohn-Bendit, qui échange régulièrement sur ces sujets avec le chef de l'Etat.
Le nom de l'ancien député européen a circulé chez LRM pour être candidat en mai 2019, mais le dirigeant écologiste - qui a dîné avec M. Macron le 5 février - a décliné. " C'était assez tentant, mais je ne serai pas candidat , indique-t-il au Monde . J'ai déjà fait quatre mandats au Parlement européen, j'aurai 74 ans en 2019, il est temps de passer la main à une nouvelle génération. " M. Cohn-Bendit participera néanmoins au lancement, le 24 mars, de la " grande marche " de LRM pour l'Europe, avant les " consultations citoyennes " imaginées par l'exécutif.
A ce stade, seize pays de l'Union européenne (UE) ont accepté de sonder leurs ressortissants entre le printemps et l'hiver 2018. Des consultations destinées à " installer un vrai débat de fond sur l'Europe à l'échelle du continent " , précise l'Elysée, mais aussi à nourrir la future campagne. Une démarche qui rappelle l'opération menée par En Marche! avant la présidentielle pour établir un " diagnostic du pays " auprès des Français. Avec l'ambition qu'une victoire en mai 2019 serve de tremplin pour le macronisme à l'étape électorale suivante, les municipales de 2021, qui auront là encore valeur de test, un an avant la présidentielle de 2022.
" Les municipales, ça va être le test par excellence : arrive-t-on à s'implanter durablement dans les territoires? " , interroge la députée (LRM) des Yvelines, Aurore Bergé. Un vrai casse-tête en perspective pour le jeune parti présidentiel, qui n'a pas d'ancrage local, peu d'élus sur le territoire et aucun maire sortant, mais de grandes ambitions. " Nos objectifs pour les municipales sont maximalistes : gagner le plus grand nombre possible de villes " , résume le député de Paris, Stanislas Guérini.
M. Castaner a toutefois prévenu : impossible de présenter des candidats LRM dans chacune des 36 000 municipalités de France, faute de troupes suffisantes. " On fera un diagnostic commune par commune, pour identifier les élus qui tiennent leurs engagements et seront susceptibles d'être épaulés par LRM " , dans le cadre d'un partenariat entre le parti présidentiel et les équipes sortantes, explique le délégué général du parti, qui a commencé à sillonner le pays, parfois dans l'ombre du président.
Identifier les " macron-compatibles "Ainsi le 16 janvier, tandis que M. Macron était à la sous-préfecture de Calais (Pas-de-Calais), au détour d'un déplacement consacré à l'immigration, M. Castaner recevait de son côté les réseaux locaux de LRM, à cent mètres de là. " L'idée est de faire une photographie politique de chaque département , souligne l'ancien porte-parole du gouvernement. Parmi les animateurs locaux, certains voudront être candidats. C'est une façon de préparer l'échéance. "
M. Castaner a constitué une équipe au sein de LRM pour l'épauler dans cette mission, dont les députés Pierre Person (Paris) et Marie Guévenoux (Essonne) et les sénateurs François Patriat (Côte-d'Or) et Bariza Khiari (Paris). La direction du parti a appelé à la constitution dans chaque département d'un " comité politique local " réunissant référents locaux, parlementaires et " quelques élus locaux en fonction de leur influence politique " .
Sur le terrain, plusieurs députés LRM ont déjà commencé à prospecter. Ainsi, Sacha Houlié, dans la Vienne, voit-il régulièrement les élus de son département, commune par commune, pour identifier ceux qui sont " macron-compatibles " comme les adversaires à faire battre. Reste qu'accorder les investitures sera compliqué, à tous les échelons. " Il va falloir trier entre les ambitions, la parité, le renouvellement, le non-cumul, etc. " , reconnaît M. Houlié.
Plusieurs pistes sont à l'étude au QG du parti. Une commission nationale d'investiture, comme pour les législatives, pourrait être installée, mais ne se chargerait que des grandes villes. " Il faudra faire confiance au local, car ce ne sera pas possible d'investir depuis Paris des candidats dans les 36 000 communes du pays , dit Pierre Person. La commission, si elle existe, ne pourra pas décider de tout. "
LRM doit s'employer à former ses cadres locaux qui pourraient devenir ses futurs visages aux municipales. " Les cadres locaux doivent se rapprocher des responsables associatifs ou des syndicats sur chaque territoire, pour apprendre à connaître leurs interlocuteurs " , ajoute M. Person. En somme, faire de la politique comme depuis toujours, en tentant de connaître au mieux le terrain et en passant des alliances, si nécessaire, pour l'emporter.
Bastien Bonnefous, et Solenn de Royer