Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route.

A 33 ans, Mathieu Ladagnous n’en a pas encore terminé avec le cyclisme et vient de signer une nouvelle prolongation avec la Groupama-FDJ qui l’emmènera jusqu’à 2020. L’occasion de revenir avec lui sur quelques moments marquants de sa carrière.

« Sur le moment, j’ai dit non, parce que je voulais continuer mes études»

 

A quel moment de votre jeunesse avez-vous eu envie de vous mettre au vélo ? 

J’ai fait du sport quand j’étais petit, mais aussi du judo, du hand, de l’athlétisme et du cross-country. Le judo, j’étais pas fan et le hand, j’ai arrêté parce qu’on m’avait surclassé de 3 années. Ça faisait 5 ans que j’en faisais et j’ai pas apprécié qu’on me fasse ça, car le hand, c’est tellement physique, qu’avec des petits de 3 ans de plus que moi c’était compliqué, niveau taille. Mon père avait fait du cyclisme plus jeune et il a essayé de me mettre au vélo. Il m’a emmené sur des courses et ça m’a donné envie d’en faire. Je me suis mis en club à 12 ans. 

Contrairement aux autres sports, vous n’avez pas eu envie d’arrêter cette fois? 

Le vélo m’a tout de suite plu même si j’ai un peu galéré au début. Mais je le faisais pour mon plaisir et dès la deuxième année, j’ai commencé à remporter des courses. Bon je ne gagnais pas tous les dimanches, mais je marchais de mieux en mieux et c’est à partir des juniors que j’ai commencé à réaliser que j’avais de belles capacités. J’ai toujours été très soutenu par mes parents et c’est très important dans le vélo. Que ce soit moi ou ma sœur (ndlr : professionnelle de rugby), ils nous ont accompagné tous les weekends sur les compétitions. C’est vraiment important, ce cadre familial pour devenir sportif professionnel. 

Et le vélo, en dehors de la compétition, était-ce une discipline que vous suiviez particulièrement ? 

Je regardais le vélo à la télé, bien sûr. Mais j’aimais beaucoup le sport en général donc je regardais tous les sports. Pour le vélo, j’allais également voir le Tour de France quand il passait pas loin de la maison. 

Vous vous illustrez rapidement sur la piste. Pourquoi vous être orienté vers cette discipline, plutôt que vers la route ? 

J’ai fait le championnat de France cadet sur piste en junior. À la fin du stage, on a fait quelques compétitions entre nous, les stagiaires. Et j’avais bien marché sur les deux terrains, route et piste. Les sélectionneurs des deux disciplines voulaient tous les deux me prendre dans leur équipe. J’en ai parlé à mon entraîneur qui m’a répondu que, comme je faisais des études, la route me demanderait de trop rouler en dehors des horaires d’études. C’est pour ça qu’on a décidé d’aller plus sur la piste. De toute façon, pour la route, la piste, c’est un peu la base du vélo, comme le cyclo-cross.  

Vous déclariez en interview être un peu en retrait lors des sprints, avoir un peu peur. N’est-ce pas paradoxal, pour un pistard ? 

Je ne débranche pas assez le cerveau. En plus, avec l’âge et les enfants, tu fais plus attention. J’ai plus peur de frotter, c’est normal, mais je n’ai jamais été un fou sur le vélo. Bien entendu, on en prend des risques à minimum, mais si ça passe pas, je vais freiner, je vais pas essayer de forcer ma chance.  

Avez-vous des souvenirs marquants concernant cet épisode de pistard ? 

Les Jeux Olympiques à Pékin et à Athènes, ça reste des souvenirs inoubliables. 

Et comment êtes-vous passé de pistard à coureur au sein de la FDJ ? 

J’ai été champion du monde en junior, puis champion d’Europe. En parallèle j’ai gagné quelques courses sur route et je me suis fait repérer par certaines équipes. Puis à 20 ans, j’ai reçu une proposition de la FDJ pour passer pro. J’avais eu une proposition, un an auparavant, avec la Caisse d’Epargne qui voulait des Français dans son équipe. Dominique Arnaud, mon directeur sportif avait des connaissances là-bas, mais je ne me sentais pas prêt à aller en Espagne en tant que néo pro, c’était trop difficile pour moi.  

Quand la FDJ vous a proposé ce contrat, comment avez-vous réagi ? 

Sur le moment, j’ai dit non, parce que je voulais continuer mes études. Je voulais être sapeur-pompier professionnel, j’avais fait un DUT en hygiène sécurité environnement, pour passer directement officier sapeur-pompier. Moins d’un mois après, ils m’ont dit “écoute, on te propose de passer pro et de continuer tes études” Et là du coup j’ai dit OK. Avec le recul, c’était une erreur d’avoir dit non d’entrée, parce que sans ça je ne serais peut-être jamais passé pro s’ils n’étaient pas revenus vers moi. 

« Je me suis découvert sur le tas»

Matthieu Ladagnous à l’arrivée du Tro Bro Léon 2018, une course surnommée le  » Paris-Roubaix  » breton qui convient au Palois.

Vous passez pro en 2006 et vous gagnez. Vous n’avez jamais eu peur de souffrir du contexte du vélo de l’époque, gangrené par les affaires de dopage ? 

Non, je ne me suis pas inquiété. Quelque part, je justifiais les moments difficiles par le fait de faire mes études en parallèle. Je me disais que ça me prenait sans doute plus de temps que les autres. Je ne me posais pas de question, on ne peut pas être toute l’année à 100 % et d’ailleurs même les meilleures années que j’ai fait je n’ai jamais été à 100 % tout le temps.  

Et le regard des gens sur le dopage, comment l’avez-vous vécu ? 

En 2006, ça faisait longtemps que c’était terminé, cette période, et je suis bien content d’être arrivé pro aussi tard. Pendant longtemps, c’était quand même difficile, parce que quand on était dans la rue les gens te voyaient faire du vélo ou te doublaient en voiture et te traitaient de dopé. Maintenant c’est terminé. 

Quelques années plus tard vous vous faites remarquer sur les pavés. Est-ce que les flandriennes étaient des courses qui vous faisaient rêver plus jeune ? 

Je n’avais jamais vu de flandriennes avant de passer pro. Je les ai vraiment découvertes ensuite. On ne se rend pas trop compte de ce que c’est, les pavés, je ne me l’imaginais pas du tout ça comme ça. Les premières fois que j’ai roulé sur le pavé je me suis dit “putain (sic), je me sens bien dessus”. Je me sentais à l’aise, avec un bon coup de pédale et à ce moment-là, je me suis dit que c’était des courses qui pouvaient me correspondre. Je savais que je n’allais pas devenir un grimpeur et je me suis découvert sur le tas. Quand j’ai fait mes premières classiques, j’étais là pour aider Frédéric Guesdon et de temps en temps, je faisais de bons résultats, j’arrivais à l’accompagner assez loin. C’est là que je me suis dit que ça me correspondait bien. Dès que j’ai terminé ma carrière sur la piste, je me suis mis sur les flandriennes. 

Forcément on pense à votre crevaison sur Paris Roubaix 2012. Avec le recul, comment analysez-vous ce moment ? 

Cette année-là, c’était la dernière année de Frédéric Guesdon. On était tous les deux protégés et Fred m’avait dit que s’il n’était pas bien, je pourrais m’occuper de moi. La course s’est déroulée à merveille, plus ça allait, plus je me sentais bien. Mais je crève dans le dernier secteur pavé…  et je fais quand même 11e de la course. Forcément déçu, mais je me suis dit que les années d’après, j’essaierai de faire mieux. Et les années d’après, j’ai crevé, je suis tombé. C’est décevant, mais c’est le vélo, c’est comme ça. 

2012, c’est l’année où vous vous sentiez le plus fort ?  

Non, c’est plutôt l’année d’après, celle où je fais 5e du Tour des Flandres. Je savais que j’étais prêt pour Paris Roubaix, je n’avais aucune pression, j’avais la confiance de tous mes coéquipiers, des coéquipiers en or, qui m’avaient protégé tout du long jusqu’au 40e km où je tombe alors que je n’avais même pas l’impression d’avoir commencé la course. On le sent, quand on est bien. Mais on n’est jamais à l’abri d’une crevaison ou d’une chute. Quoiqu’il en soit, dans une course comme ça il faut de toute façon partir avec de la confiance.  
 

« On n’est pas des machines »

Depuis le Tour d’Italie 2017, Matthieu Ladagnous a intégré le groupe aux côtés de Thibaut Pinot et s’y épanouit pleinement.

 

Aujourd’hui, vous n’êtes plus un coureur protégé et vous êtes au service d’Arnaud Demare. Ce changement de statut a-t-il été facile à accepter ? 

Oui, mais j’avais quand même ma carte à jouer. Si Arnaud arrivait en même temps que moi, je devais travailler pour lui, mais si jamais j’arrivais avant lui, je pouvais jouer ma carte personnelle. Il n’y a jamais eu de problème avec cette tactique.  

Autre changement notoire : votre intégration récente au sein du groupe “Thibaut Pinot”. Qui a été à l’initiative de ce changement ? 

Il me fallait du changement. Parce que, quand tu fais toujours les mêmes courses, à un moment donné ça te lasse. Et l’année dernière après les classiques, j’ai revu mon programme et c’est à partir de cette année que j’ai intégré le groupe de Thibaut Pinot. Je m’y sens très bien là dedans, on se fait plaisir. 

Travailler pour Thibaut Pinot, c’était donc un souhait ? 

J’avais fait d’autres courses, dont le Tour 2012, avec Thibaut, donc je le connaissais très bien. On s’entend très bien, Thibaut c’est un mec qui a besoin de coéquipiers autour de lui qu’il apprécie. Maintenant que j’ai pris un peu d’âge, je sais que c’est compliqué de gagner des courses et je prends vraiment du plaisir à faire le taf pour les leaders. Quand ton leader gagne, c’est toujours un peu grâce à toi.  

Comment avez-vous vécu l’avant dernière étape du Giro, et la terrible défaillance de votre leader ? 

Cette étape-là, j’étais dans l’échappée, ils m’ont rattrapé dans le troisième col et là j’ai vu le visage de Thibaut, assez déconfit. Je me suis dit qu’il était dans une sale journée mais je ne pensais pas à ce point. Après, je me suis relevé, j’étais tout seul, j’attendais le gruppetto. Puis j’ai commencé à rattraper 4 ou 5 FDJ et là je me suis dit que Thibaut devait forcément être dedans. On a essayé de l’amener jusqu’à l’arrivée puis après, il est parti à l’hôpital. Il reste un être humain, on n’est pas des machines, ça participe au bon moment du vélo car pour qu’il y ait de bons moments, il faut bien qu’il y en ait des mauvais. C’est la vie, c’est le sport. 

Le lendemain c’est vous qui abandonnez, lors de la dernière étape. N’êtes-vous pas frustré de n’avoir pu terminer ce Tour ? 

Dans ma tête, j’ai terminé le Giro, parce que j’avais plus de force du tout. J’aurais pu continuer et franchir la ligne d’arrivée 2 heures après les premiers, mais je ne pouvais tout simplement pas. Mais ce Giro, dans ma tête, je l’ai terminé. J’aurais eu de la fièvre 10 jours avant l’arrivée, là, ça m’aurait embêté d’abandonner. 

Comment vivez-vous l’évolution du cyclisme de ces dernières années ? 

Le vélo s’est vraiment professionnalisé. Aujourd’hui, toutes les équipes ont des gros leaders capables de gagner sur tous les terrains. A la GFDJ, auparavant, on avait le droit de prendre les échappées sur le plat et c’est beaucoup moins le cas désormais. Les échappées sont toutes contrôlées. Pour un néo-pro qui arrive, c’est compliqué alors qu’avant, on avait la chance de pouvoir gagner des courses dès la première saison. Maintenant, le néo-pro qui gagne c’est très rare à moins qu’il soit très fort. 

Vous n’êtes pas frustré par ce constat ? 

Le vélo a changé, l’équipe, elle aussi, a changé et maintenant j’ai basculé dans un rôle de coéquipier. J’essaye de le faire au mieux et si je ne prenais pas de plaisir, j’aurais tout simplement arrêté depuis longtemps.

 

Propos recueillis par Bertrand Guyot (@bguyot1982) pour Le Gruppetto

 

Crédit Photo : Ronan Caroff & Awen Le Gall /Nicolas Götz pour Velobs
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Re: L’interview au long cours avec… Matthieu Ladagnous

Messagepar jeanbonnot » 10 Sep 2018, 21:31

Bravo et merci pour cette interview :ok:
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Re: L’interview au long cours avec… Matthieu Ladagnous

Messagepar Gaz » 11 Sep 2018, 08:27

Toujours agréable à lire ces interviews.
Merci.
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