Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route.

Tout juste âgé de 19 ans, Tanguy Turgis (Vital Concept) entame sa toute première saison chez les professionnels. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur son parcours et sur ce qui l’a amené à devenir cycliste professionnel au sein de cette famille de mordus du vélo.

« Déjà si un de nous était passé pro, ça aurait été exceptionnel, alors 3 sur 3, c’est juste énorme »

Comment t’est venue l’envie d’être cycliste professionnel chez Vital Concept ? Aucun autre sport ne t’attirait ?

Je ne m’en souviens pas vraiment. J’ai toujours voulu faire du vélo et aucun autre sport ne m’attirait. Pour en faire mon métier, je ne sais pas non plus. J’ai toujours pris les choses les unes après les autres. J’avais la chance d’avoir Jimmy qui était chez les espoirs et dont je suivais le parcours. Puis, j’ai toujours été dans l’idée de faire les choses bien, et petit à petit en progressant et performant, j’en suis arrivé là.

Continues-tu tes études en parallèle de ta carrière naissante?

Non, maintenant je suis à 100 % vélo. J’ai arrêté mon BTS assistant de gestion cette année au début du mois de janvier, car même si j’avais dans l’idée de le continuer, j’étais trop absent, c’était compliqué de suivre le rythme. Au premier semestre je cumulais aux alentours des 130 heures d’absence. J’ai décidé de me consacrer au vélo, car étant jeune il y a une différence de niveau qu’il me faut essayer de réduire. Cela étant je compte reprendre quelque chose un peu plus tard pour ne pas rester les mains vides et m’occuper après les entraînements.

Comment étais-tu perçu à l’école ?

Au lycée, j’étais en sport-études donc j’étais déjà avec des sportifs. On me parlait quelquefois de vélo, mais plus pour savoir si c’était “vrai” ou ce genre de choses.

Avec deux frères également dans le vélo, on peut se poser la question : ce sont tes parents qui t’ont incité à choisir la voie du vélo ?

On a baigné dans le vélo, donc ils sont contents qu’on en fasse tous aujourd’hui, mais on n’a jamais été forcé à le faire. On aurait pu pratiquer un autre sport, ils nous auraient accompagnés à 100 % également, comme ils ont pu le faire pour le vélo. L’exemple le plus flagrant, c’est leur implication en cyclo-cross, discipline qui demande énormément d’investissement avec tous les vélos et tous les déplacements que ça demande. En plus, nous étions trois.

Le vélo c’est le principal sujet de conversation à table?

Quasiment ! Même quand on évite le sujet, il revient vite (rires).

Te rappelles-tu de ta première course, de ta première victoire ?

Ma première victoire, je ne m’en rappelle pas, mais ma première course oui, je m’en souviens encore un peu. Ce n’était pas vraiment une course d’ailleurs, je n’avais même pas l’âge de courir, j’avais un VTT jaune alors qu’on était sur route, j’étais avec ma cousine, mon oncle et mon père et j’ai juste fait un tour de circuit. Comme il y avait eu une chute devant, les parents ne voulaient pas qu’on aille trop vite. Le parcours devait faire un kilomètre, c’était déjà beaucoup pour mon âge. On avait dû avoir un Snickers ou un Mars en récompense (rires).

Ton père était amateur, n’a-t-il jamais essayé de passer professionnel ?

Il savait qu’il n’avait pas le niveau pour (rires). C’est ce qu’il reproche d’ailleurs aux jeunes de maintenant. Dès qu’ils voient qu’ils n’ont plus le niveau, ils arrêtent. Alors que mon père, ma mère, ou bien mes oncles ont toujours fait du vélo entre eux le weekend, malgré ça. Toujours dans la bonne humeur.

Comment vivent-ils la carrière de leurs enfants ?

Mon père n’en revient pas. Être professionnel, il sait que c’est dur. Déjà si un de nous était passé pro, ça aurait été exceptionnel, alors 3 sur 3, c’est juste énorme.

 

«Le Tour que j’ai regardé le plus, une bonne cinquantaine de fois, c’était celui de 2004»

Tanguy Turgis en janvier dernier lors du rassemblement Vital Concept à Denia en Espagne.

 

Peux-tu nous parler de tes frères ? Quels sont leurs points forts par rapport à toi ?

Je n’en sais trop rien, je connais leurs qualités, mais par rapport à moi, j’arrive difficilement à me rendre compte de ce qu’ils ont de plus ou de moins. Anthony a changé. Chez les jeunes, il était beaucoup plus tête en l’air et quand il est passé pro chez Cofidis il est devenu beaucoup plus sérieux. Quant à Jimmy, il a toujours été sérieux depuis qu’il est junior. Il était à l’école de Dimitri Champion qui lui a appris cette rigueur. Jimmy, quand il doit faire 4 heures à l’entraînement, s’il n’a fait que 3h50, il refait une petite boucle pour faire ses 4 heures.

Qu’ont-ils de plus que tu pourrais envier ?

Un peu tout (rires). Ils ont plein de points positifs et je n’arrive pas forcément à en voir certains en particulier. Moi qui vit tout le temps avec eux, je ne me rends pas forcément compte de tout ce qu’ils font de bien. Je m’en inspire globalement.

Vélofiction : imaginons que vous arriviez à trois, toi et tes frères, pour la gagne. comment gères-tu la situation ?

Déjà, je pense que je serais dans la merde (sic) parce qu’il sont tous les deux de Cofidis (rires). L’avantage, c’est qu’on ne se regarderait pas trop tôt et qu’on se débrouillerait pour arriver tous les trois sur la ligne. Ça se ferait à la pédale sur les derniers mètres.

On te sait passionné par le vélo, y compris en tant que simple spectateur, depuis quand remonte cette passion ?

Ça a commencé en 1997, 1998, avec les cassettes VHS de ces Tour de France. Celui que j’ai regardé le plus, une bonne cinquantaine de fois, c’était celui de 2004. Cela étant, on les a tous plus ou moins visionnés, avec Jimmy et Anthony.

Et comment as-tu vécu les révélations sur les performances de l’époque ?

Je ne m’y intéresse pas. Je me dis que c’est dommage de leur part. Je préfère être naïf de ce côté là et me dire que tout est beau, tout est propre. Je me dis qu’il s’agissait d’un système un peu global et qu’ils ne pouvaient pas y faire grand chose.

Quels sont tes modèles d’enfance ? Tu évoques parfois Gilbert, parfois Voeckler…

Quand j’étais tout petit, c’était vraiment Voeckler. Ça date de 2004, lorsqu’il a porté dix jours le maillot jaune sur le Tour de France. Puis, quand j’ai commencé à courir de belles courses comme le trophée Madiot, je me suis plus tourné vers Philippe Gilbert, qui faisait plus la différence à la pédale et moins avec la tête, même si bien sûr les deux étaient très forts dans les deux domaines.

Qu’est-ce qui te séduisait chez Voeckler ?

Quand j’étais chez les jeunes, c’était forcément quelqu’un qui m’inspirait, car je courais avec des mecs qui faisaient trois fois ma taille. Il fallait plutôt être malin pour les battre parce que c’était pas facile à la pédale (rires). Cela étant, on dit que Voeckler était intelligent mais il avait aussi beaucoup de force dans les jambes. Parce qu’il faut pouvoir se la créer la situation, et être en capacité de l’assumer derrière. Mais c’est sûr que d’avoir regardé toutes ses courses, ça m’a aidé, inconsciemment.

 

« Il ne faut pas croire que tout est beau […] c’est chacun pour soi ! »

Tanguy Turgis au format dessin sous les couleurs de Vital Concept.

 

Si l’équipe BMC Development ne s’était pas arrêtée, serais-tu encore chez eux aujourd’hui ?

Oui, j’avais dans l’idée de faire une deuxième année chez les espoirs et je voulais la faire chez eux car c’était la meilleure équipe du monde. On avait plus ou moins tout écrasé l’an dernier et je me sentais vraiment bien là-bas, que ce soit dans l’ambiance ou dans l’apprentissage. J’ai été triste que ça s’arrête.

Et de quand datent les contacts avec Jérôme Pineau et Vital Concept ?

Jérôme m’a contacté assez tôt, dès la fin du Circuit de la Vallée de la Loire. Il m’avait dit qu’il avait un projet et qu’il s’intéressait à moi. Puis, un peu plus tard, quand j’ai appris que l’équipe BMC allait s’arrêter, on en a reparlé. Je ne me voyais pas aller dans une autre équipe espoir, ça aurait été presque faire un pas en arrière. Donc j’ai voulu faire ce pas en avant. Jérôme a eu un beau discours, basé sur l’apprentissage et la découverte. Ça m’a séduit.

Tu évoquais un “monde de requins” en parlant du cyclisme professionnel. Comment peut-on avoir envie de rejoindre un milieu auquel on attribue ce qualificatif ?

La première chose que Dimitri Champion avait dite à Jimmy quand il est passé pro c’était : “c’est super tu réalises un rêve, mais attention, le monde du vélo c’est bonjour en face, mais quand on est sur le vélo, si je peux je te mettre un couteau dans le dos, je le fais.” Il ne faut pas le prendre négativement, ça veut juste dire qu’il ne faut pas croire que tout est beau. Les mecs veulent tous avoir leur place, c’est chacun pour soi.

Comment s’est déroulée ta première course World Tour, le GP E3 Harelbeke ?

On m’a vu aller dans le fossé à un moment. C’était un mal pour un bien parce que ça m’a fait éviter la chute. Mais, malheureusement, quand je suis remonté, j’étais encore dans le premier peloton et j’avais plein de boue sur les boyaux. Assez rapidement j’ai pété, j’ai pris une petite cassure bêtement. C’est le seul regret que je peux avoir sur ma course, parce qu’après, à la pédale, c’était dur.

Qu’est ce que ça fait, de pouvoir côtoyer de près des monstres comme Sagan ou Gilbert ?

Je n’y ai pas forcément trop pensé, mais quand tu es derrière Sagan, tu te dis “tiens je suis dans sa roue”. Sinon rien de particulier pour moi. Et, Gilbert, je ne l’ai pas vu dans le peloton, je ne l’ai pas reconnu. Je ne me suis pas focalisé là-dessus.

Sur quel type de courses comptes-tu t’orienter dans le futur ?

J’attends de voir. Celles qui me correspondent le mieux, ce sont les classiques, les courses d’un jour. Après, je suis encore jeune, j’ai beaucoup de qualités à développer. Il ne faut pas que je me ferme de porte.

 

Propos recueillis par Bertrand Guyot (@bguyot1982) pour Le Gruppetto, avant Gand-Wevelgem.

Crédit photo : Franz-Renan Joly / Vital Concept Cycling Club
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Modérateur: Animateurs cyclisme pro