Samedi dernier, Vincenzo Nibali s’est adjugé l’édition 2018 de Milan – San Remo au nez et à la barbe du gratin du sprint mondial. L’Italien de la Bahrain-Merida entre encore davantage dans la légende du cyclisme en remportant un nouveau monument chez lui, en Italie. Retour sur une victoire qui va compter dans la carrière du Transalpin, et qui le fait entrer dans une nouvelle dimension.
Malgré son immense palmarès, Vincenzo Nibali n’était pas le grand favori au départ de Milan. Dans la presse étaient plutôt évoqués le champion du monde Peter Sagan ou encore les deux derniers vainqueurs de la Primavera, Arnaud Démare et Michal Kwiatkowski. Et pourtant, le Requin de Messine était le dernier vainqueur d’un monument avec son sacre lors du Tour de Lombardie à la fin de la saison dernière. Même au sein de son équipe, beaucoup auraient parié sur Sonny Colbrelli, au profil idéal pour Milan – San Remo, plutôt que sur le vainqueur des trois Grands Tours.
Une attaque à la Nibali
On commence à connaître Vincenzo Nibali : lui qui avance toujours masqué, jamais au top sur ses courses de préparation (12ème au Tour d’Oman, 11ème sur Tirreno-Adriatico), et qui répond toujours présent sur les grands rendez-vous, pour le plus grand plaisir des tifosi. Ce week-end, quand on le voit remonter dans la Cipressa, on se dit qu’il n’a pas retenu la leçon de l’édition 2014, mais il a su rester patient. Puis en voyant qu’il n’attaque pas, on commence à penser qu’il ne fera jamais la différence dans le Poggio, et c’est là qu’il nous a tous épaté. Depuis l’édition 2012, il a appris qu’il devait arriver seul pour l’emporter, comme lors de ses deux victoires sur le Tour de Lombardie. Ne dit-on pas que le requin le plus dangereux est celui que l’on ne voit pas arriver ?
Lorsqu’il se met à suivre l’attaque du jeune Letton Krists Neilands, on a ce sentiment que le peloton ne le prend pas au sérieux, comme si le vent de face allait avoir raison de l’Italien. Sentiment confirmé par l’attitude des différentes équipes qui ne viennent pas relayer la Bahrain-Merida. Matej Mohoric et Heinrich Haussler, coéquipiers de Nibali, se régalent ainsi à réduire le rythme du peloton pour laisser filer leur leader dans la partie la plus propice à une attaque. Rapidement, le Sicilien prend 10” à ses adversaires, 11” au sommet. Quant à la descente du Poggio, il la connait par coeur et ce n’est que sur le plat que les quelques équipiers encore présents font l’effort pour revenir. Mais c’est trop tard, Nibali est intouchable sur la Via Roma, se permettant même de lever les bras à 50 mètres pour savourer. Personne, depuis plus de 20 ans (et Giorgio Furlan en 1994), n’avait réussi à s’extirper du peloton dans le Poggio pour aller gagner en solitaire à San Remo, Vincenzo Nibali l’a fait, à la surprise générale.
Parmi les plus grands
En s’imposant avec la manière, Nibali a fait rêver les supporters transalpins, qui attendaient une victoire italienne sur la Via Roma depuis 2006 et celle de Filippo Pozzato, mais pas seulement : il a également pris une autre dimension auprès des fans, auprès de ceux qui s’intéressent au cyclisme, de près ou de loin. Qui, dans le peloton d’aujourd’hui, peut se targuer d’avoir gagné un Grand Tour ou un Monument chaque année depuis 2013 ? Vincenzo Nibali l’a fait. Certains le voyaient un peu vieillissant, pourtant il reste sur une deuxième place sur la dernière Vuelta (qui pourrait lui revenir en fonction du verdict de l’affaire Froome), et sur deux victoires consécutives lors des deux derniers monuments, avec le Tour de Lombardie la saison passée et, désormais, Milan – San Remo.
Puisqu’il faut comparer Vincenzo Nibali aux illustres champions de son sport, il existe des statistiques vraiment parlantes. Tout d’abord, il est le premier vainqueur d’un Grand Tour à remporter Milan – San Remo depuis Laurent Jalabert en 1995. Pour un vainqueur du Tour de France, il faut même remonter à 1989 avec la victoire du regretté Laurent Fignon. Encore plus frappante, la comparaison avec Eddy Merckx et Felice Gimondi, qui sont les seuls, avec maintenant Vincenzo Nibali, à avoir remporté les 3 Grands Tours, Milan – San Remo et le Tour de Lombardie. L’Italien a tout gagné chez lui et va maintenant découvrir les Flandriennes en étant au départ du prochain Tour des Flandres, avant peut-être de courir Paris-Roubaix dans les prochaines années. Il sera également attendu de pied ferme à Liège dans un mois, ne laissant rien de côté jusqu’à sa retraite sportive.
À 33 ans, Vincenzo Nibali est peut-être devenu, le samedi 17 mars, le plus grand champion de sa génération, que ce soit dans les résultats, dans l’attitude ou grâce à sa polyvalence. Il lui reste évidemment des objectifs pour cette saison avec le Tour de France et un championnat du monde en haute montagne, à Innsbrück, qui lui correspond parfaitement. Gagner avec l’équipe d’Italie, c’est tout ce qu’il manque au Squale.
Après la course, Sacha Modolo (désormais chez Education First) déclarait : “Un jour je pourrai dire : je n’ai pas gagné Milan – San Remo mais j’ai vu de près Vincenzo Nibali attaquer dans le Poggio et l’emporter. J’ai entendu les personnes l’acclamer sur la Via Roma. J’ai connu et j’ai couru avec une légende du cyclisme”. Tout est dit. Grazie Vincenzo.
Lucas Boutelier
Crédit photos : Clémence Ducrot