Écrit le par dans la catégorie Interviews, Les forçats de la route.

Diagnostiqué diabétique à l’âge de sept ans, d’où il en a tiré sa force et sa maturité, Quentin Valognes vient d’achever sa première année en tant que cycliste professionnel. Cet attachant et sympathique normand de vingt-et-un ans voyage depuis aux quatre coins du monde grâce au vélo et à son équipe Novo Nordisk. Avec à l’esprit la volonté de l’équipe que Quentin Valognes a fait sienne : inspirer les diabétiques du monde entier tout en étant performant au haut niveau.

Quel bilan tires-tu de ta première saison professionnelle ? J’imagine que c’est déjà une satisfaction d’être professionnel mais quels sont tes principaux enseignements de cette saison ?

C’est sûr que ce fut déjà une satisfaction d’être professionnel ! J’étais super content dès que j’ai su que je passais professionnel mais ce n’est pas une finalité en soi. Il s’agit juste d’une étape, une sacré étape et il faut continuer à travailler à un niveau supérieur. Il faut accepter que c’est compliqué parfois, cette saison je n’ai pas gagné ni fait de gros résultats. Par contre en tant que coéquipier, il y a du mieux. Je sens que j’arrive à mieux me placer donc si on devait résumer la saison dernière : compliqué mais nous sommes obligés d’en passer par là, tout le monde ne s’appelle pas Benoit Cosnefroy. Il faut apprendre et continuer à travailler dur, le travail paie toujours.

Pour ta première saison, tu étais là en « découverte » ou tu avais des objectifs ?

C’était vraiment la découverte sur des courses comme Dubai ou Abu Dhabi. Il fallait apprendre à se placer, à frotter sans forcement penser au résultat au vu des coureurs qui étaient alignés à côté de nous. Nous avions l’objectif d’apprendre et je pense que c’est ce que nous avons réussi à faire. Par exemple à Abu Dhabi, il y a une étape où à 2 ou 3 kilomètres de l’arrivée nous étions encore 4 dans les 20 premiers. Après, il y a eu quelques erreurs de ma part mais globalement, nous avons bien découverts.

Rencontre surprenante pour Quentin Valognes sur le dernier Circuit de la Sarthe.

Tu es l’un des sprinteurs de l’équipe, quelles étaient les attentes de tes directeurs sportifs ?

Premièrement, il faut que je puisse me retrouver dans le peloton aux arrivées. Par exemple au Tour d’Azerbaïdjan quand il y a une montagne au milieu de l’étape, il faut que je passe cette montagne là pour justement arriver au sprint. J’ai réussi à le faire en Chine en fin de saison. Je dois apprendre également et notamment prendre confiance autant dans mon équipe qu’en moi. Nous devons arriver à construire quelque chose avec les autres français en particulier, Romain Gioux et Mehdi Benhamouda. Mais aussi l’italien Andrea Peron, nous sommes tous très jeunes et comme je l’ai dit pratiquement à tous les journalistes depuis le début de l’année, nous apprenons petit à petit. C’est peut-être un peu rengaine de dire ça tout le temps et puis vous de là où vous êtes, vous ne voyez pas forcement la progression, mais nous sentons bien qu’il y a une osmose voire une émulation qui est en train de se créer. Tout cela vient petit à petit et va dans ce sens-là, l’oiseau fait son nid.

Quelles leçons tires-tu de ta saison ?

C’est exactement ce que je viens de dire, l’oiseau fait son nid ! C’est vrai qu’à 21 ans et même en étant un peu plus vieux, je pense qu’on a toujours envie d’aller plus vite. Personnellement, j’ai eu l’impression que parfois mince … je pourrais être là ! Quand je vois mon pote «Beubeu» (ndlr: Benoit Cosnefroy) champion du monde, d’ailleurs je suis très content pour lui, je me dis que le chemin déjà parcouru est énorme. Je pourrais ne pas être là, il faut que je travaille encore plus mais en fait, nous sommes tous différents, que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le vélo. Benoît a certainement plus de talent à la base. La principale leçon c’est qu’il faut faire étape par étape : si tu essaies de grimper 5 marches d’un coup, peut-être que tu arriveras à les passer mais d’un autre côté, tu vas peut-être te cramer et te casser la figure. Ou alors tu ne vas pas réussir à les passer. Mais si tu montes une marche par une marche, déjà là je suis plutôt 2 marches par 2 marches, c’est plus sûr. Il faut que les fondations de la maison soient bien faites pour qu’elles tiennent debout.

Hors individuel, peux tu nous donner ton meilleur moment de la saison ?

Il n’y en pas un forcement, c’est tout au long de la saison au cours de mes voyages quand je rencontre les gens issus d’autres cultures, c’est toujours une sacrée leçon. Je cours beaucoup en Asie, en Azerbaïdjan, en Chine, Taïwan, aux Émirats … Mais je pense que s’il y a vraiment un moment à retenir non individuel et par rapport à l’équipe, c’est au Tour de Chine. J’étais le poisson pilote de Romain Gioux, nous étions très bien placés tout au long de la course. A 4 kilomètres, le peloton commence à embrayer et là une grosse chute se produit dans les 15 premiers. Romain est à moitié pris dedans donc je ne le vois plus dans ma roue. De mon côté, ma chaussure est complètement ouverte parce que je me suis pris le plateau de celui qui était tombé, il m’a déchiqueté le truc mais je suis toujours bien placé, impeccable. Romain crie dans l’oreillette et je me dis « mince qu’est ce qu’il a, qu’est ce qu’il a» et là je le vois revenir dans la roue de Rik Van Ijzendoorn notre coéquipier. Puis il me dit «vas-y Quentin à bloc !». Je crois qu’il fait 9e, ce n »est pas un gros résultat mais c’est issu d’un travail d’équipe et quand je parlais d’osmose tout à l’heure c’est clairement cela. Nous n’avons pas hésité à se sacrifier les uns pour les autres parce qu’avant Rik, il y avait David Lozano qui a tout fait pour que nous restions devant. Nous avions tous un rôle et cela s’est bien fini, personne n’est tombé. Romain n’était pas tombé en fait. Juste dans l’oreillette, il avait dit de faire mon sprint mais je n’avais pas compris. Il a fait un meilleur résultat que ce qu’on aurait pu faire individuellement chacun de notre côté.

 

Le fait de tous avoir le diabète et de se dire «on est tous dans la même galère», cela fait votre force au sein de l’équipe par rapport aux autres coureurs qui n’ont pas de souci particulier ?

Effectivement, j’en parle beaucoup dans mon livre (ndlr : «Diab’ un ami pour la vie»), je pense que le diabète d’aujourd’hui, ce n’est plus un handicap. Cela a plutôt été «une aide», il y a des moments où quand j’étais jeune, ça n’allait pas avec le diabète. Forcement, nous avons tous des moments de moins bien et dans ces moments-là il n’est pas possible de se dire «j’arrête, j’en ai marre d’être diabétique… ». Non, ce n’est pas possible de le dire puis ce serait trop facile et c’est surtout impossible. Du coup, le conseil à donner est déjà de l’accepter et de trouver des solutions pour continuer d’avancer. Ainsi, la situation s’améliore et tu continues d’avancer toujours petit à petit. Dans la vie de tous les jours, ces caractères-là se retrouvent, que ce soit au travail, à l’école, avec ses amis, dans les relations familiales mais aussi sur le vélo. C’est-à-dire quand il pleut, grêle, neige ou au moment d’une chute, tu ne te dis pas :  » non j’arrête  » ! Tu dois trouver une solution et continuer. Et comme tu le disais, tout ça a vraiment été une force.

Quelle est la difficulté de courir avec le diabète face aux autres coureurs ? Quelles sont les choses que tu dois faire que ne font pas les coureurs sans diabète ?

Quelque part, nous avons un peu de chance parce que l’hygiène de vie d’un coureur cycliste est à peu près la même que celle recommandée pour une personne atteinte d’un diabète. Pour résumé, une bonne hygiène de vie c’est à dire qu’il faut manger sainement, bien dormir et ne pas faire d’excès. C’est ce que qui est demandé à un diabétique comme à un cycliste. Là-dessus, nous avons eu beaucoup de chance. Quelqu’un qui n’abandonne pas est peut-être un peu plus mature, plus mûr plus vite du coup nous apprenons à connaître notre corps et nous pouvons anticiper. Chaque personne a un diabète différent mais nous, chacun individuellement, a ses limites et puis quand nous voyons que nous allons aller un peu haut, nous prenons de l’insuline. Inversement, quand nous voyons que nous allons un peu bas, nous mangeons. Du coup, tu anticipes comme tu connais ton corps, tu te contrôles ce qui fait que nous sommes disciplinés et rigoureux par rapport à tout cela. Au final, les contraintes n’en sont pas.

Novo Nordisk n’est pas une formation comme les autres non seulement sur le projet mais aussi sportivement car depuis 2015 l’équipe n’a pas gagné. Comment vous le vivez dans l’équipe ? J’imagine que c’est l’objectif numéro 1 sportivement parlant ? Est-ce pesant ?

Lorsque nous prenons le départ d’une course, c’est pour la gagner de toute façon. Au départ, il y en a qui sont là pour progresser, d’autres pour gagner. Nous ne sommes pas là pour apparaître seulement. Nous n’en avons jamais parlé entre nous mais en tout cas nous faisons tout pour avoir des résultats, je le disais tout à l’heure : le travail paie toujours, il faut attendre encore un peu.

Passage obligé dans la vie de coureur cycliste professionnel : répondre aux questions de Daniel Mangeas !

L’année prochaine quels seront tes objectifs ?

Continuer à travailler cette osmose entre nous et prendre confiance en moi encore. Puis ne pas avoir de complexes lors d’arrivées aux côtés de Cavendish, Kittel et autres.

Tu espères intégrer une équipe dite «classique» (sans être tourné autour du diabète) à l’avenir, World Tour ou une grosse continental pro comme Direct Energie, Cofidis ?

Aujourd’hui j’apprends et je pense que je n’aurai pas le niveau pour rejoindre ces équipes là. Même si j’ai le niveau un jour, nous verrons au moment voulu mais pour l’instant, je suis très bien dans mon équipe. Le but de l’équipe n’est pas seulement d’avoir des résultats sur le vélo, nous avons aussi une autre mission : éduquer, inspirer et encourager les gens atteints d’un diabète partout dans le monde. Les trois objectifs de cette mission se réalisent en faisant du sport. Il n’y a que dans notre équipe où il est possible d’inspirer et d’éduquer les personnes atteintes d’un diabète. Je suis très bien dans cette équipe, je m’y retrouve aussi dans cette mission. Pour le moment il n’est même pas question de partir, ils me font confiance, je leur fais confiance et nous continuons de progresser ensemble. C’est vraiment une osmose; c’est ce que je disais tout à l’heure, avant d’être des coéquipiers, nous sommes avant tout des copains.

C’est voyager à travers le monde qui t’attire plus que le fait de disputer des grandes épreuves comme le Tour de France ?

Non, c’est la performance sportive, c’est vraiment un double projet comme par exemple à Chambéry. Ils ont le double projet, scolaire et sportif. Inspirer les gens atteints d’un diabète et en même temps réussir des performances, parce que si nos résultats ne sont pas à la hauteur, ces missions-là ne sont plus possibles. L’objectif de l’équipe est de faire le Tour de France en 2021 pour le centenaire de la découverte de l’insuline.

L’objectif dans ma vie, dans ma carrière est vraiment d’avoir des résultats. Après, c’est assez incroyable de voir arriver vers nous les jeunes diabétiques ou les moins jeunes, les parents, la famille et l’entourage d’une personne diabétique venir pour nous dire merci. C’est une sensation unique qui permet de voir que nous ne servons pas à rien non plus. Je le répète mais il s’agit d’un double projet, le message ne sera que plus fort si on est à la hauteur sportivement, forcement qu’on essaie de l’être.

Dernière question, en rapport avec notre site, j’imagine que tu as connu le gruppetto cette saison (comme tout sprinteur qui se respecte) ? As-tu une histoire insolite, drôle, émouvante, incroyable.. à nous raconter sur un des gruppettos que tu as fait cette saison ?

Il y en a beaucoup, je ne sais pas laquelle est la mieux ! Au tout début de l’année, je ne savais pas comment faire pour accrocher le Gruppetto, je ne savais pas trop comment cela se passait. Au Tour d’Abu Dhabi il y avait «l’étape reine» avec une montagne à la fin, du coup je me suis dit que j’allais rester dans la roue de Cavendish toute la montée. Finalement, il montait très vite. Cela va un peu plus vite que ce qui est imaginé parfois, c’était une sacrée expérience.

Une autre expérience à Taïwan où nous étions dans le gruppetto et nous devions arriver dans les délais. Nous allions un peu vite dans une descente de col et nous avons tous failli tomber dans le lac : il y avait un virage un peu serré. Nous avons fini par en rire mais c’était moins une. Il y a eu beaucoup d’histoires, je ne m’attendais pas à cette question ! En tout cas, c’est marrant de se retrouver «potes d’un jour» entre sprinteurs dans le gruppetto et le lendemain se battre encore aux coudes-à-coudes dans les sprints, c’est drôle je trouve comme relation.

 

Par la rédaction du Gruppetto.

 

Crédit Photo :https://www.teamnovonordisk.com/races/
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Re: Quentin Valognes : « Le chemin parcouru est déjà énorme

Messagepar Wasanni_Kowama » 27 Déc 2017, 14:22

Un homme très mature et exemplaire pour sa maladie

Merci pour l'interview :up
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Re: Quentin Valognes : « Le chemin parcouru est déjà énorme

Messagepar MayodeBain » 27 Déc 2017, 14:26

Vraiment sympa la dernière question sur ses anecdotes en Gruppetto, notamment pour l'état d'esprit particulier entre sprinteurs :ok:
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Re: Quentin Valognes : « Le chemin parcouru est déjà énorme

Messagepar gosso » 29 Déc 2017, 09:31

Interview de qualité avec des réponses développées et intéressantes :)

Je ne sais pas qui a fait l'interview mais bon choix. ça serait sûrement un plus d'en refaire une en fin d'année prochaine ou courant de saison histoire d'avoir son ressenti sur son évolution et l'évolution de l'équipe ;)

Et merci à Quentin d'avoir pris le temps de faire plus que des réponses 'bateaux".
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