Écrit le par dans la catégorie Analyses, Coup de bordure.

Comme chaque année, la période des transferts a offert aux grosses équipes du World Tour l’occasion de procéder à un minutieux jeu de chaises musicales. Chez Sky, Mikel Landa a remplacé Richie Porte, en partance pour BMC. Entre Cannondale-Garmin et Etixx-Quick Step, quand Rigoberto Uran a signé pour rejoindre les premiers, Dan Martin a fait le chemin inverse.

Chez Katusha, la déception du départ de Daniel Moreno a été consolée par l’arrivée de Jürgen Van Den Broeck. Bien sûr, d’autres équipes s’en sortent moins bien, perdant des forces vives sans parvenir réellement à les remplacer. C’est le cas d’AG2R, qui voit partir Carlos Betancur sans avoir eu l’occasion d’en connaître réellement le niveau, ou encore de Direct Energie (ex-Europcar), qui n’a trouvé personne pour remplacer Pierre Rolland. Ces quelques leaders, et bien d’autres encore, ont pour point commun d’avoir changé d’équipe à l’intersaison, décidés ou contraints. Pour le reste, les raisons à l’origine de leurs départs et du choix de leurs destinations sont multiples. On peut les diviser en quatre catégories, que voici.

Ceux qui préparent la fin

Tout d’abord, commençons cette deuxième partie des transferts de l’intersaison en présentant quatre pré-retraités, quatre coureurs pour qui la fin de carrière devrait bientôt sonner. Igor Anton, Laurens ten Dam, Daniel Moreno et Ryder Hesjedal sont dans cette situation où la fin ne devrait plus tarder, et où il n’y a plus qu’à se battre pour signer les meilleurs résultats possibles. Tous quatre ont connu des parcours différents, mais ils en sont à la trentaine bien dépassée, et ont décidé, pourtant, de changer (une dernière fois ?) d’équipe. Les voici :

igor anton

Pour la dernière partie de sa carrière, Anton a choisi Dimension Data.

 

Igor Anton n’a que 32 ans, mais sa grande époque date déjà de plusieurs années. Souvenez-vous, c’était pendant la Vuelta 2010. L’Espagnol, maillot rouge sur le dos, semblait bien parti pour remporter l’épreuve, ou du moins terminer sur le podium. Vainqueur de deux étapes déjà, il avait au soir de la 13e étape 45 secondes d’avance sur Nibali, et était le plus rapide en montagne. Puis une chute, lors de la 14e étape, et une fracture du coude, l’obligent à mettre fin à sa saison, et à ses rêves de succès. C’est ça, Igor Anton. Un coureur capable du meilleur, mais qui n’a jamais réussi à mettre toutes ses capacités en application suffisamment longtemps pour avoir le palmarès qui va avec le talent. On se souvient aussi de sa victoire au sommet du Zoncolan, sur le Giro 2011, soit quelques mois après sa chute en Espagne. Devant Alberto Contador et Vincenzo Nibali, quand même. Et on se souvient, depuis, d’années de galère, entre (rares) bons résultats et (nombreuses) courses dans l’anonymat. L’an dernier, Anton a couru 78 jours avec Movistar, pour plus de 12 000 kilomètres. Ce qu’on en retiendra ? Sa victoire sur le Tour des Asturies, sur lequel il n’a pas su détacher Amets Txurruka. Non, Anton n’est plus aussi fort qu’il y a quatre ou cinq ans, et c’est pour cette raison que la fin semble proche. Son départ de Movistar pour Dimension Data, où se réunissent de nombreux trentenaires en quête de résultat, est peut-être sa dernière chance de retrouver, au moins en partie, son niveau. On verra alors s’il est encore capable de briller, ou s’il restera sur la pente descendante.

Laurens ten Dam a quant à lui atteint un âge respectable pour prendre sa retraite. Mais arrêter, ce n’est pas pour tout de suite, dans la tête du Néerlandais. A 35 ans, plutôt que de se retirer à la fin de son contrat avec Lotto NL-Jumbo (il courait chez Rabobank – Blanco – Belkin – Lotto depuis 2008), ten Dam a décidé de rejoindre l’autre grande équipe néerlandaise, Giant-Alpecin. Depuis quelque temps, on reprochait à Giant l’absence de bon grimpeur pour aider Warren Barguil, notamment sur le Tour de France. Ten Dam n’est pas n’importe qui, il a fini 13e du Tour 2013, et neuvième de l’édition 2014. Mais ten Dam est surtout vieillissant, et n’a pas existé sur la Grande Boucle en juillet dernier, terminant 92e. Bien sûr, il ne va pas rechigner à aider Barguil, bien conscient que ses meilleures années sont passées, mais ce transfert, le seul apport en montagne pour Giant durant cette intersaison, montre bien les limites du recrutement de Giant, qui préfère se concentrer sur John Degenkolb, son chasseur de classiques. On verra bien en juillet, mais l’arrivée de ten Dam semble être insuffisante pour mener à bien les objectifs de Barguil, et ainsi satisfaire les attentes placées en lui. Car, de ces quatre coureurs en fin de carrière dont le transfert est étudié ici, ten Dam est de loin celui qui a le plus perdu de son niveau.

Daniel Moreno aura donc attendu 34 ans pour quitter Joaquim Rodriguez. Longtemps (deux ans chez Caisse d’Epargne, cinq chez Katusha), le coureur espagnol a été vu comme un lieutenant de « Purito », comme un fidèle équipier. Dès cette année, ce ne sera plus le cas. Oh, Moreno aura sûrement toujours ce rôle de second plan, puisqu’il a choisi Movistar, et son duo Valverde-Quintana, pour continuer sa carrière. Que ce soit pour Valverde lors des classiques ardennaises, ou pour l’Espagnol et le Colombien sur les Grands Tours, son rôle restera le même, et Moreno n’aura donc que rarement sa chance. Pourtant, il a fait ce choix de changer d’équipe, de revenir dans cette formation dans laquelle il a couru durant deux années (2008 et 2009). C’est un risque : se montrera-t-il aussi indispensable à Valverde et Quintana qu’il l’a été à Joaquim Rodriguez ? Mais c’est aussi un signe d’audace, audace dont le manque est régulièrement montré du doigt par les anti-Movistar et anti-Rodriguez. La dernière course de Moreno avec Katusha aura été le Tour de Lombardie, sur lequel il a pris une excellente deuxième place, privant ainsi son futur leader, Alejandro Valverde, du podium. Ses premières courses chez Movistar ne vont pas tarder à s’enchaîner, avec notamment le Tour de San Luis qui se court actuellement. Et on verra, alors, si Moreno confirme l’audace dont il a fait preuve en rejoignant Movistar.

ryder hesjedal

A 35 ans, Ryder Hesjedal se tourne vers de nouveaux horizons.

 

Ryder Hesjedal, lui aussi, va manquer à beaucoup de monde quand il se retirera. Malheureusement, cette retraite, on l’imagine proche pour le Canadien : à 35 ans, sa carrière est en grande partie derrière lui, et le voir courir et animer le peloton à cet âge est déjà une bonne chose. Bien sûr, il reste capable de beaux coups d’éclat, comme l’a montré son Giro, en mai dernier : mal parti, seulement 29e après la première semaine de course, et 15e à l’issue de la deuxième, il a progressé lentement mais sûrement au classement pour entrer dans le top 10 à quelques jours de l’arrivée à Milan. Là, neuvième au soir de la 18e étape, il a remonté deux positions le lendemain, et deux de plus le surlendemain, pour finir cinquième, et rappeler que, s’il a bien un terrain de prédilection, c’est l’Italie. Mais ce Giro du Canadien, s’il a été suivi et soutenu par de nombreux amateurs de cyclisme, a été sa seule belle performance de l’année. L’homme qui était capable de finir dans le top 10 de cinq classiques World Tour dans l’année, ou encore de remporter un Giro inoubliable, ce Ryder Hesjedal-là a laissé place à un coureur vieillissant, dont on peut résumer la saison à une course de trois semaines. C’est ce Ryder Hesjedal que Trek a subtilisé à Garmin, après huit ans de bons et loyaux services dans l’équipe de Jonathan Vaughters. C’est ce Ryder Hesjedal qui va devoir prouver, en mai, qu’il est encore capable de belles choses. Et c’est ce Ryder Hesjedal qu’il va bien falloir, même si ça nous fera sans doute de la peine, laisser prendre sa retraite dans un futur de plus en plus proche.

Ceux qui devaient bouger pour progresser

Enfin, dernière catégorie, ces coureurs pour qui rester dans la même équipe n’était pas le bon choix. S’ils ont réussi leur saison 2015, comme Rein Taaramäe, ou s’ils sont passés à côté, comme Carlos Betancur et Enrico Battaglin, le passage par un changement d’équipe s’est imposé à eux. Ces trois coureurs, tous âgés de 26 à 28 ans, n’ont pas tout leur temps s’ils veulent briller, mais ne sont pas non plus en fin de carrière, ni même en fin de cycle. Il sera intéressant de suivre leur progression en 2016, pour différentes raisons que l’on peut regrouper sous un argument : 2016 sera, pour ces trois hommes, une année charnière.

rein taaramae

Une saison et puis s’en va pour Taaramäe chez Astana.

 

Rein Taaramäe n’aura couru qu’une année chez Astana. Rester une seule année dans une formation cache souvent de mauvaises conditions de travail, ou de mauvais résultats. Pourtant, Taaramäe a passé une très bonne année 2015. Vainqueur du Tour de Murcie, du Tour de Burgos et de l’Arctic Race of Norway, l’Estonien a retrouvé un très bon niveau. Certes, ce n’était pas encore le Taaramäe qui a fait onzième du Tour de France 2011, ou le Taaramäe qui jouait le podium sur Paris-Nice ou le Tour de Catalogne, mais il s’agit quand même, sans doute, de sa meilleure saison depuis l’année 2011, justement. A l’époque, âgé de 24 ans, il était présenté comme un bel espoir du cyclisme. Aujourd’hui, alors qu’il s’apprête à fêter ses 29 ans, ses jeunes années ne sont plus qu’un lointain souvenir. Pourtant, on peut le dire : on a retrouvé l’Estonien. Pas épargné par les blessures et problèmes de santé en tous genres depuis le début de sa carrière, Taaramäe espère maintenant pouvoir remplacer Daniel Moreno dans l’effectif de Katusha, et apprendre aux côtés de Jürgen Van den Broeck et Joaquim Rodriguez, tout en ayant sa chance. A l’heure actuelle, difficile de savoir quel rôle aura l’Estonien, même si la richesse de l’effectif de la formation russe semble le condamner à une place d’équipier. S’il confirme sa belle année 2015 et continue de progresser, rien ne devrait l’empêcher d’avoir sa chance. Peut-être pas sur les principales courses du calendrier, mais au moins sur des épreuves plus modestes.

Carlos Betancur vient, au contraire, de passer une sale saison, et de perdre en crédibilité au sein du peloton mondial. Le Colombien, loin d’être affûté lors des courses dont il a pris le départ, n’a jamais brillé, et seul son Giro peut sauver sa saison. Revenons là-dessus. Avec trois top 10, dont une deuxième place, sa campagne italienne n’a pas été mauvaise. Vingtième du général final, il a pu sur ce Tour d’Italie montrer qu’il avait encore la capacité de faire de belles choses, et ce même sans être au top. Le problème, c’est qu’au top, il ne l’a jamais été, justement. Vainqueur de Paris-Nice en 2014, on était en droit d’attendre de Betancur qu’il brille en 2015. A part son Giro, quelle est sa meilleure place ? Une 40e position lors de la sixième étape de Tirreno-Adriatico. Betancur a signé une saison indigne d’un coureur de son calibre, et il n’a plus couru depuis, justement, ce Giro « réussi ». C’en était trop pour Vincent Lavenu, manager d’AG2R, qui n’en a plus voulu dans son équipe. Une aubaine pour Movistar, qui s’est attaché l’un des coureurs les plus talentueux de sa génération. Mais, à 26 ans, Betancur va devoir revenir dans le droit chemin s’il ne veut pas pousser à bout un deuxième staff en deux ans. Les années passent vite, malgré tout, et il serait bien inspiré de retrouver son vrai niveau au plus vite, et d’arrêter les fast-food.

enrico battaglin

Battaglin chez Bardiani aura glané 2 succès sur le Tour d’Italie. Direction Lotto-Jumbo en 2016 pour l’italien.

 

Enrico Battaglin, enfin, est dans une situation en de nombreux points comparable à celle de Betancur. Les deux hommes ont le même âge, 26 ans. Et les deux viennent de connaître une saison galère. Pour Battaglin, pas une seule victoire, pas un seul podium. Deux fois cinquième d’étape sur le Giro, il a signé quelques bons résultats au cours de l’année, mais bien loin de ses années précédentes. Pour rappel, Battaglin avait remporté une étape du Tour d’Italie en 2013, et une autre en 2014. Passer de ça à une saison sans podium, c’est un choc dont il faut savoir se remettre. Pour Battaglin, il fallait passer à autre chose, et c’est pour cette raison qu’il a choisi Lotto NL-Jumbo pour continuer sa carrière. Après quatre années chez Bardiani, il va falloir s’adapter à une nouvelle équipe, de nouveaux équipiers, un nouveau pays et de nouvelles attentes. Chez Lotto, Battaglin ne sera pas la star de l’équipe comme il a pu l’être chez Bardiani. Sur le Giro, pas question de jouer sa carte si Steven Kruijswijk a besoin de lui. De telles transitions, beaucoup de coureurs les ont ratées, et il ne tient qu’à Battaglin de réussir la sienne. En tous cas, il doit faire ses preuves, avant tout.

 

Par Kenan

 

Crédit Photo : Bert de Boer via wikimédia commons / nuestrociclismo.com & Joseba Alberdi via flickr.fr
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Re: Les transferts de l'intersaison 2/2

Messagepar Felagund » 20 Jan 2016, 22:19

Merci et bravo pour le boulot, je progresse en cyclisme grâce à vous.
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Re: Les transferts de l'intersaison 2/2

Messagepar Yoken » 23 Jan 2016, 01:12

Oui merci ! Moi aussi j'améliore mes connaissances grâce à vous :o
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