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La nouvelle est tombée peu avant le Tour de France. Coupé depuis mi-avril en raison d’un éboulement en cours, le tunnel du Chambon situé sur la route du Lautaret empêche le passage du peloton lors de la vingtième étape du Tour 2015. Exit donc le Galibier, toit prévu du Tour 2015. ASO a alors du modifié rapidement son tracé et les coureurs reviendront en Oisans par le col de la Croix-de-Fer.

Le changement de parcours, c’est la hantise des organisateurs de courses cyclistes qui travaillent plus d’une année pour établir un tracé. Si le Giro est habitué aux recompositions en raison des neiges printanières, ce genre de péripéties est rare sur le Tour de France. Aussi nous vous proposons de vous raconter ces étapes où le tracé prévu n’est pas totalement respecté.

 1927 : Cyclo-cross au Galibier

Le cyclisme d’entre deux guerres illustre parfaitement la transition entre l’époque des pionniers et la période moderne. Si des progrès techniques ont été effectués et que le jeu d’équipes est apparu, les coureurs de l’époque n’en restent pas moins des « forçats de la route ». C’est particulièrement le cas en ce 9 juillet 1927. Au programme plus de 280km entre Briançon et Evian via les cols du Galibier et des Aravis. Seulement il neige sur les Alpes et en particulier sur le massif du Galibier. En conséquence, l’organisation décide de décaler le départ de l’étape au pied du géant des Alpes. Petite précision : nous parlons bien du pied avant la montée et non pas après !

L’étape amputée de 30km démarre donc légèrement en dessous du Lautaret par les sept kilomètres à près de 10% de la désormais ancienne voie du Galibier. Le chemin de terre est couvert de neige qui se transforme très vite en boue. Pour la plupart des « cyclocrossmen » du jour, l’ascension se fera à pied en portant le vélo. Le grimpeur André Leducq, futur vainqueur des Tour 1930 et 1932, parlera d’un des pires souvenirs de sa carrière.

Au sommet, Antonin Magne, autre futur double vainqueur du Tour (en 1931 et 1934) passe en tête. Le grimpeur fait le choix d’éliminer la boue de sa monture avant la descente et se fait dépasser par le touriste-routier (= un coureur sans équipe) suisse Charles Martinet. Celui-ci anime le reste de l’étape à l’avant et après avoir compté 18’ d’avance, il est dépassé à moins de 10km de l’arrivée par le belge Pé Verhaegen vainqueur de cette étape d’anthologie.

Champion du Monde et double vainqueur du Tour, Antonin Magne se souviendra longtemps du Galibier 1927

Champion du Monde et double vainqueur du Tour, Antonin Magne a aussi réussi l’exploit de vaincre le Galibier en 1927

 

1963 : La Forclaz déraille

En 1963, Jacques Anquetil est lancé vers un quatrième succès dans le Tour de France, synonyme de record. Un avant 1964 et le duel mythique avec Poulidor, il doit pourtant se défaire d’un autre grand grimpeur : Federico Bahamontès, vainqueur en 1959. Et là déjà, l’opposition va atteindre son paroxysme dans le dernier col du Tour, aidée en cela par un changement de parcours et une ruse mécanique.

En ce 10 juillet 1963, Bahamontès ne compte que 3s d’avance sur son dauphin Anquetil avant la dernière grande étape de montagne entre Val d’Isère et Chamonix par delà Petit & Grand-St-Bernard et Forclaz. Au lendemain d’une étape déjà menacée, au cours de laquelle les coureurs ont gravi la Croix-de-Fer en franchissant des tunnels creusés dans la glace (!) l’organisation doit faire face à un éboulement dans la Forclaz. Heureusement, la route principale de cette dernière est doublée par une voie ancienne, dite de la Petite Forclaz. Les coureurs passeront donc par cette voie non bitumée, irrégulière et présentant des passages à 18%.

Pour Anquetil, le risque de se faire décramponner par Bahamontès est réel. Le normand envisage alors d’utiliser un vélo plus léger pour cette montée. Cependant, le règlement interdit de changer de monture en cours d’étape sauf problème mécanique vérifié. La parade est vite trouvée : au pied de la descente du Grand-St-Bernard, le normand se rapproche de la voiture Saint-Raphaël et son mécanicien sectionne le câble du dérailleur. Un kilomètre plus loin Anquetil s’arrête, enjambe son mulet plus léger et résiste ensuite aux attaques du grimpeur espagnol. A l’arrivée il l’emporte même au sprint et reprend le jaune avec les bonifications. Les commissaires n’y ont vu que du feu. Quelques jours plus tard, Maitre Jacques remporte son quatrième Tour, dépassant Thys et Bobet.

La une du Miroir des Sports avec le duel Anquetil-Bahamontès dans la Vieille Forclaz

La une du Miroir des Sports avec le duel Anquetil-Bahamontès dans la Petite Forclaz

 

1982 : La manifestation d’Usinor

En ce 7 juillet 1982, Fontaine-au-Pire doit devenir une des plus petites communes étapes du Tour de France. Le village de 1200 habitants accueille l’arrivée du contre-la-montre par équipes qui s’élance d’Orchies. Malheureusement la fête vire « au pire » en raison d’une manifestation organisée par les salariés d’Usinor à Denain. Mécontents de la fermeture à venir de leur usine, ils bloquent la route du Tour alors que plusieurs équipes sont déjà passés. L’organisation n’a d’autres choix que d’annuler l’étape !

A la hâte, le chrono par équipes sera replacé quelques jours plus tard entre Lorient et Plumelec et verra la victoire attendue des Ti-Raleigh. Alors inédite, l’arrivée au sommet de la côte de Cadoudal verra ensuite plusieurs fois le Tour en 1985 (prologue), 1997, 2008 et donc 2015 avec à nouveau un contre-la-montre par équipes.

Quant à Fontaine-au-Pire, la cité nordiste accueillera finalement le Tour de France en 1983 pour un nouveau chrono par équipes. Et c’est finalement ici que les Ti-Raleigh furent défaits après plusieurs années de règne dans l’épreuve.

En 1982, le chrono-par-équipes eu lieu à Plumelec

En 1982, le chrono-par-équipes eut finalement lieu entre Lorient et Plumelec

 

1996 : La neige dans le Galibier, épisode 2

En 1996, le début des Alpes a été animée. La première étape a vu la défaillance surprise de Indurain, en lice pour un sixième Tour historique, dans la montée des Arcs. Le navarrais n’a pas forcément réagi le lendemain dans le chrono en côte vers Val-d’Isère qui permet à Berzin de se poser en nouveau favori de ce Tour. Le russe devance alors au général le danois Riis et l’espagnol Olano même si les écarts restent ténus. Indurain est à près de 5min !

Au matin du 8 juillet, le roi Miguel doit donc être rassuré de voir que le froid et la neige entraine la suppression des deux monstres du jour, l’Iseran et le Galibier. L’étape reine des Alpes s’élance donc du Monetier-les-Bains pour 46km seulement avec le col de Montgenèvre (2C) et la montée vers Sestriere (1C). Statut quo à prévoir ?

A vrai dire pas vraiment. Ce format sprint motive Bjarne Riis et le dauphin au général multiplie les démarrages dans Montgenèvre. Il sort finalement seul malgré le vent de face et personne ne pourra le reprendre. S’il ne compte que 25s à Sestriere sur Leblanc et Virenque, ses principaux rivaux au général ont lâché plus du double. Le danois prend le maillot jaune et ne le lâchera plus jusqu’à Paris. Monsieur 60% s’offrira même une démonstration de luxe lors de l’arrivée à Hautacam.

 

2008 : L’Agnel de secours

En 2008, le Tour effectue une incursion dans le Piémont italien. La première étape alpestre doit ainsi relier Digne-les-Bains à la station de Prato Nevoso. Avant cela, le peloton doit emprunter un col inédit, le col de Larche. Ce col transfrontalier est peu connu des cyclistes, même s’il a figuré dans une des étapes les plus mythiques du Giro, le fameux Cuneo-Pinerolo de 1949 où Coppi l’emporta avec 12’ d’avance sur Bartali ! Outre son profil très roulant, sa route est en effet interdite aux cyclistes en raison de risques permanent d’éboulement. Le Tour utilisant la route de façon privatisé, l’organisation du Tour pense pouvoir obtenir l’autorisation exceptionnelle de passage.

Mais au printemps 2008, la préfecture lui refuse ce passage ! Il faut alors trouver une autre voie pour franchir la frontière. Le col de la Lombarde plus au sud sera déjà emprunté dans l’étape suivante. Plus au nord figure un autre col inédit, le col Agnel (2744m). Seul problème l’étape depuis Digne-les-Bains mesurerait 270km ! ASO se résout alors à décaler le départ à Embrun, déjà prévu deux jours plus tard.

Sur le plan sportif, l’étape ne restera pas dans les annales. A l’avant, Simon Gerrans règle l’échappée tandis que chez les favoris l’attentisme règne. Menchov est le premier à attaquer mais glisse dans un virage en montée ! Finalement, Frank Schleck parvient à lâcher Evans dans les derniers mètres et s’empare du maillot jaune. Le principal fait du jour, c’est malheureusement la terrible chute d’Oscar Pereiro dans la descente de l’Agnel. L’espagnol passe par-dessus la rambarde et chute sur le lacet suivant cinq mètres en contrebas. Le vainqueur du Tour 2006 se serait certainement bien passé de ce détour par l’Agnel.

 

Par Svam,

Images : Galibier by will_cyclist on Flickr, Antonin Magne via Wikipedia/Wikicommons, Forclaz : une de Miroir-Sprint (via http://encreviolette.unblog.fr) & CLME de Plumelec via http://www.lorient.maville.com/

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