Écrit le par dans la catégorie Histoire, Les forçats de la route.

La Première Guerre Mondiale a enlevé la vie à plus de 16 millions d’êtres humains. Parmi eux, de nombreux coureurs cyclistes, dont 3 des 10 premiers vainqueurs du Tour de France, dont un des plus coureurs les plus populaires de son époque : François Faber.

L’histoire de François Faber commence par celle de Marie Paul, sa mère, née en Moselle d’immigrés Luxembourgeois. D’une première union, elle donne naissance à Jules et Ernest. Le premier porte le nom de son père, à savoir Schlepp. Le second porte le nom de jeune fille de sa mère, Paul, son géniteur refusant de le reconnaître, ce qui entraînera la séparation du couple. Quatre ans plus tard, Marie Paul rencontre Jean-Pierre Faber, également originaire du Luxembourg et arrivé en France pour chercher du travail. D’un coup de foudre arrive le mariage, le recueillement des jeunes Jules et Ernest, puis, pour des raisons professionnelles, un déplacement vers Aulnay-sur-Iton, à proximité d’Évreux, où naît François le 26 janvier 1887.

Par le droit du sol en vigueur à l’époque, François Faber est considéré comme Français jusqu’à ses 18 ans, où lui sera demandé un choix entre son pays natal et celui d’où ses parents sont originaires, mais qu’il ne connaîtra pas avant l’âge adulte. Alors qu’il a quatre ans, la famille déménage vers Colombes. Devenant alors véritable Parisien, bénéficiant d’un physique impressionnant pour l’époque, il commence à travailler dès l’âge de 13 ans. Courant d’abord à travers l’agglomération pour porter des plis, travaillant dans un chantier de construction naval et transportant des sacs de charbon sur les quais de Seine, il se forge alors une endurance qui marquera quelques années plus tard sa carrière cycliste.

En 1904, alors âgé de 17 ans, François Faber découvre le cyclisme grâce à un collègue, lui permettant d’essayer sa bicyclette après une discussion intéressée sur le sport cycliste. Ces modèles ayant pris le dessus sur les grands-bis une trentaine d’années plus tôt pour les courses et ayant bien plus séduits le public, étant moins dangereux. Depuis la première compétition à Saint-Cloud en 1868 et le Paris-Rouen l’année suivante, le calendrier cycliste s’est élargit avec Bordeaux-Paris, Paris-Bruxelles, Paris-Roubaix et surtout le Tour de France, que François Faber ambitionne de courir en indépendant deux ans plus tard.

Alors toujours Franco-Luxembourgeois, mais absent du collège électoral, n’ayant pas fait le choix de sa nationalité, François Faber participe au Tour de France 1906. Entièrement seul, il est pourtant 10e du classement général après deux étapes, de Paris à Lille, puis vers Nancy. Néanmoins, les Alpes viennent compliquer la chose. Si le Galibier n’est pas encore là, sont à gravir la rampe de Laffrey et le Col Bayard. Le tout avec 350 kilomètres en moyenne par étapes (avec un jour de repos entre chaque étape) et une forte chaleur Provençale, il craque dans l’étape entre Nice et Marseille, terminant hors délai avec 7 heures de retard. Éliminé de la course, il doit alors rentrer à Paris. Il tente de le faire par la route, prenant le départ, sans dossard, de l’étape suivante entre Marseille et Toulouse, mais les 480 kilomètres de la plus longue étape de ce quatrième Tour de France sont de trop et il met pied à terre à Arles, où il prend un train pour rentrer chez lui.

Cet échec, il ne le veut pas définitif. Quelques semaines plus tard, il s’inscrit à Paris-Tours. Il parvient à rester avec les meilleurs jusqu’à Blois, aux trois quarts de la course, avant de céder pour prendre la 13ème place. Performance remarquable pour un néophyte, puisqu’au début de l’année 1907, l’ancien champion de France du demi-fond Alphonse Baugé le contacte pour l’intégrer à l’équipe « Labor » l’année suivante. L’encadrement d’une équipe lui permet d’avoir une meilleure hygiène de vie que l’amateur qu’il était, ne rechignant jamais à un repas copieux agrémenté de bons vins. Il parvient ainsi à prendre la sixième place de Bordeaux-Paris. Après un effort de plus de 24 heures sur 600 kilomètres, il enfourche à nouveau sa bicyclette pour rentrer chez lui.

Au Tour de France, il s’illustre principalement dans l’étape entre Lyon et Grenoble, s’achevant par le passage dans le Col de Porte. Il y est le seul coureur à résister à Émile Georget, dominateur cette année là, vainqueur de 6 des 14 étapes et qui aurait remporté le Tour sans une pénalité due à un changement de bicyclette. Si François Faber ne remporte pas l’étape, il devient alors un des favoris du public, se faisant prendre en photo et signant ses premiers autographes. La suite est plus compliquée, à cause de la canicule, d’une blessure à la selle et de lourdes chutes. Il parvient néanmoins à terminer le Tour à la 7ème place. Il a alors seulement 20 ans.

François Faber 1907

Publicité de la marque LABOR mettant en avant le jeune coureur

L’année suivante, il rejoint la formation « La Française ». Au printemps, il termine notamment 2ème de Paris-Roubaix. Au sein du peloton, il côtoie désormais son frère Ernest Paul. Particulièrement attendu pour l’été, le Tour de France ne débute pas idéalement, puisqu’il n’est que 26ème du général après 2 étapes et la première étape à l’extérieur du territoire Français, à Metz, alors ville Allemande. Il se rattrape dans les deux étapes suivantes, remportées à Belfort et Lyon, avant une 2ème place détape une nouvelle fois à Grenoble, le voilà 5ème du général. Il remportera par la suite deux autres étapes, mais ne parviendra pas à combler le retard dues aux 2 heures de perdues vers Metz. Il termine 2e du classement final et se console avec la victoire dans la catégorie des « pneus démontables ».

Sa fin de saison est marquée par deux évènements. L’un au Bol d’or, course de 24 heures sur le vélodrome Buffalo, où il abandonne, dort quelques heures, puis revient dans l’enceinte, non pas pour remonter sur sa bicyclette, mais pour s’attabler avec les spectateurs et supporters. L’autre est une grande performance sportive, Dominant un Tour de Lombardie en novembre, couru sous des chutes de grêles, ne s’arrêtant que pour laisser place à un vent glacial. Dans son style atypique, il laisse faire au début de course, avant de se mettre à rouler en tête de peloton, reprenant les coureurs échappés et distançant tous ses adversaires. Les tifosi regrettent la défaite de leurs coureurs, mais félicitent la performance athlétique du coureur Parisien.

Coureur Parisien, mais plus Français pour longtemps. A la veille de son 22ème anniversaire, il transmet aux autorités une lettre dans laquelle il déclare se sentir proche du Grand-duché d’où sont originaires ses parents (sans signaler qu’il n’y a encore jamais mis les pieds, ce qu’il ne fera que quelques jours en 1913) et renonce à la nationalité Française. Le choix est surprenant. Il est interprété par certains comme une manière d’esquiver les deux ans de service militaire obligatoire qui auraient dû stopper sa carrière cycliste.

Il entame donc l’année 1909 sous les couleurs Luxembourgeoises. Il change à nouveau d’équipe, rejoignant son frère chez « Alcyon » et y retrouvant son mentor Alphonse Baugé, lui aussi arrivant dans le groupe au fameux maillot bleu ciel, qui dominera le cyclisme dans les premières décennies du XXème siècle. Très vite, il va séduire le public Belge en remportant Paris-Bruxelles et Sedan-Bruxelles. Puis il continue d’augmenter sa popularité lors de Bordeaux-Paris. Il en prend la 4ème place, malgré une blessure aux yeux l’empêchant de voir la route pendant les 200 derniers kilomètres, se fiant alors à la voix d’Alphonse Baugé, lui indiquant la route à suivre.

Sur un parcours identique à l’année précédente, il laisse la victoire de la première étape à son coéquipier Cyrille Van Hauwaert, le champion de Belgique étant tout proche de ses terres sur le vélodrome Roubaisien. L’étape suivante est celle qui amène les coureurs à Metz. François Faber y connaît alors le soutien de ses nouveaux compatriotes, dont certains ont franchis la frontière. Il y entame une série de succès, puis qu’il s’impose et prend la tête du général, avant de gagner à nouveau à Belfort et à Lyon. Puis il parvient enfin à remporte l’étape de Grenoble, passant par le Col de Porte, avant un cinquième succès à Nice. Le Tour de France n’a que six ans. Jamais il n’avait vu un coureur remporter cinq étapes consécutives. Plus d’un siècle plus tard, la performance n’a toujours pas été égalée.

Un nouveau succès sera présent à Bordeaux. Alcyon domine la course plaçant cinq coureurs aux cinq premières places du général et remportant 12 des 14 étapes. Le 6ème du général et le vainqueur d’étape qui a mis fin à la série de François Faber est Ernest Paul, non-sélectionné par son équipe, mais s’inscrivant seul et participant à l’épreuve en tant qu’indépendant. Dans la fin de saison, il remporte également Paris-Tours. Il est alors une des idoles des Français, étant non seulement un grand champion sportif, mais aussi un homme de cœur et de grande classe, se retrouvant occasionnellement exclu de certaines courses, subissant certains règlements de courses excessivement rudes, pour avoir aider un coéquipier ou adversaire victime d’ennuis mécaniques ou pour avoir offert de la nourriture à un autre coureur.

François Faber 1909

François Faber au Parc des Princes, vainqueur du Tour de France 1909

L’année 1910 devrait alors être celle de nombreux autres succès. Mais quelques jours après son 23ème anniversaire, ce sont ses qualités humaines qui vont être mises en avant. L’incroyable crue de la Seine l’empêchera de monter sur sa bicyclette pendant tout le mois de février, qu’il passe à aider les familles sinistrées. Il achète même une barque avec ses frères pour faire quelques rondes et prévenir des éventuels pillages. Ces actes se retrouveront félicités par une lettre officielle du Président du Conseil Aristide Briand.

Le retard dans sa préparation cycliste amène l’équipe Alcyon à miser un peu plus sur Octave Lapize. Lui aussi réalise une performance rare, remportant Paris-Roubaix 3 fois consécutivement. Une rivalité interne commence alors entre les deux coéquipiers, pour culminer lors du Tour de France. Octave Lapize remporte 4 étapes et le général. François Faber en remporte 3, dont à nouveau Metz et Lyon, mais il souffre dans la première traversée des Pyrénées et perd de son avance au classement général, pour terminer 2ème, avec un retard d’alors 4 points, le classement général de l’époque se faisant par addition des places et de pénalités dues au retard à l’issue de chaque étape.

1911 commence mieux avec, enfin, la victoire dans Bordeaux-Paris. Puis le Tour de France lui permet de remporter deux nouvelles étapes, mais une blessure à la selle le force à l’abandon. Commencent alors des moments plus difficiles sportivement. Rejoignant le groupe « Automoto », il passe l’année 1912 sans le moindre succès, ne terminant que 14ème du Tour de France. Le calvaire prend fin en même temps que l’année. Alphonse Baugé a alors rejoint le groupe « Peugeot » et insiste pour la signature de celui qu’il surnomme « son grand lion ». Une préparation spécifique est alors faite pour lui permettre de renouer avec la victoire dans Paris-Roubaix. Dans la continuité, il est 5ème de Bordeaux-Paris et du Tour de Belgique, dont il a remporté une étape.

François Faber 1913

François Faber, le jour de son Paris-Roubaix victorieux

Il est alors attendu sur le Tour de France, mais gêné par une blessure au bras et souffrant dans les longs cols, tels le Tourmalet et le Galibier, où il doit emmener sa carcasse de près de 2 mètres et approchant le quintal, il ne termine que 5ème du classement général, mais remporte deux victoires d’étapes. L’année suivante, deux nouvelles étapes et la 9ème place achève sa carrière de cycliste.

Son Tour de France 1914, disputé dans un juillet entre l’attentat de Sarajevo et le début effectif de la guerre dans l’Europe occidentale, est plus connu pour une petite histoire, dont l’authenticité est incertaine aujourd’hui. A l’issue d’une étape arrivant à Cherbourg, François Faber sort des douches de l’hôtel entièrement nu pour rejoindra sa chambre proche. Sauf qu’il tombe sur un homme habillé lui faisant remarquer le côté atypique de la situation. François Faber aurait alors répondu à l’inconnu qu’il pourrait lui « prêter sa barbe pour cacher sa nudité », amenant un rire entre les deux hommes, qui se retrouvent quelques minutes plus tard pour des présentations officielles, entre le champion cycliste François Faber et le pacifiste Jean Jaurès.

Le 26 juillet, le Tour de France s’achève. Le 31 juillet, Jean Jaurès est assassiné. Le 1er août, la mobilisation générale est décrétée en France. François Faber n’est alors pas directement concerné, puisqu’officiellement de nationalité Luxembourgeoise. Le 22 août, alors qu’il vient d’apprendre que sa compagne Eugénie est enceinte, il s’engage dans la Légion étrangère. On lui prête la phrase « la France a fait ma fortune, il est normal que je défende la France », répondant ainsi aux critiques patriotiques sur sa répudiation de la nationalité Française.

Le 5 mai 1915, il apprend la naissance de sa fille Raymonde. Le 9 mai 1915, le Caporal Faber est abattu sur le front de l’Artois, alors qu’il tentait de porter secours à des camarades blessés. Son corps ne sera jamais retrouvé. Il fait partie des 600 000 noms de l’Anneau de la Mémoire, située à Notre-Dame-de-Lorette, au pied de la colline où il a perdu la vie.

Reste de François Faber un impressionnant palmarès pour l’époque, cumulant 19 victoires d’étapes (7e meilleur score de l’histoire). Si le maillot jaune existait à son époque, il l’aurait porté à 25 reprises (ce qui est plus que Laurent Fignon, Gino Bartali ou Fausto Coppi). Chiffres d’autant plus impressionnant qu’à son époque, le Tour de France ne comptait que de 13 à 15 étapes.

Reste de lui une rivalité avec Octave Lapize, qui tombera lui aussi au champ d’honneur, le 14 juillet 1917, lors d’une bataille aérienne en Lorraine.

Mais restent de lui, surtout, de grandes qualités humaines, reconnues par tous ceux qui l’ont côtoyés, de son adolescence laborieuse sur les quais de Seine à son décès brutal dans les tranchées, reconnu grâce à de nombreux témoignages d’autres soldats, en passant par ses années de coureur cycliste où nul n’a jamais mis en doute sa générosité à tous niveaux, que cela soit parmi ses pairs ou parmi le public qui a tant chéri le « Géant de Colombes ».

Carte militaire de François Faber

Carte militaire de François Faber

par Darth-Minardi

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Re: François Faber, 1887-1915

Messagepar Murungaru » 01 Avr 2015, 13:06

Intéressant, merci! :ok:
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Re: François Faber, 1887-1915

Messagepar Guame » 01 Avr 2015, 20:58

Superbe article. Toujours intéressant d'en savoir plus sur les champions d'un autre temps, on les connaît très mal au fond. Merci pour cet instant de culture donc, j'avais les grandes lignes de Faber, j'en sais maintenant bien plus. :mrgreen:
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Re: François Faber, 1887-1915

Messagepar darth-minardi » 02 Avr 2015, 20:28

Merci ;)

En ce moment, beaucoup de recueils sortent sur le cyclisme d'il y a un siècle.

Cela m'inspirera certainement pour d'autres thèmes sur cette époque du cyclisme qui me plait grandement ;)
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Re: François Faber, 1887-1915

Messagepar darth-minardi » 09 Mai 2015, 14:56

Je me permet de remonter ce topic, pour les 100 ans de son décès.
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