Écrit le par dans la catégorie Analyses, Coup de bordure.

Le mois de juillet arrive et avec lui, le Tour de France. La plus grande course de l’année donne toujours lieu à de vifs débats, entre passionnés. C’est aussi l’occasion de voir fleurir des chiffres en tout genre, en particulier des valeurs de puissance. Les calculs de puissance sont devenus à la mode et source de diverses chroniques dont le but peut-être autant de disséquer honnêtement la performance que de pointer du doigt les dérives du peloton et juger de la probité des vainqueurs. Au Gruppetto aussi, nous aimons calculer les puissances développées par les meilleurs coureurs en montagne et analyser. Pour lever toute ambiguïté, nous avons décidé de révéler notre méthode de calcul et notre point du vue sur le but et la portée des analyses que nous serons amenées à faire.

La puissance, une grandeur physique avant tout

Si le mot puissance hérite de toute sorte de signification dans le langage courant, il a en revanche une définition précise dans le domaine scientifique. La puissance est le produit d’un effort par un flux, le plus couramment, le produit du vecteur Force par le vecteur Vitesse. La puissance s’exprime en Watts (W).

Eq1

Cette formule est valable dans le cadre d’un mouvement linéaire. Pour un coureur cycliste, nous entrons dans la cadre d’un mouvement rotatif, qui correspond à l’action effectuée sur le pédalier. La formule se transforme en produit vectoriel du couple par la vitesse angulaire. Le couple représente la « force » exercée par le cycliste sur les pédales, tandis que la vitesse angulaire représente la fréquence de pédalage.

Eq2

La puissance, comment peut-on la mesurer ?

Maintenant que nous avons défini ce qu’était la puissance, il nous reste à trouver comment la mesurer. Le moyen le plus simple consiste à placer un capteur à la source, dans le pédalier. C’est ainsi que procèdent la majorité des cyclistes pour mesurer leur puissance réelle. Néanmoins, ces données restent le plus souvent secrètes et rarement accessibles au grand public. SRAM, célèbre marque de capteurs de puissance publiaient parfois certaines données de coureurs professionnels par le passé. L’opacité se cachant derrière ces données empêche toute utilisation pour une quelconque analyse. Il convient donc de trouver un moyen de mesure extérieur au coureur, avec des grandeurs facilement observables, notamment par le biais de la retransmission TV.

Si on se réfère à la formule initiale, il suffirait de trouver le couple exercé et la fréquence de pédalage du coureur. Cependant, ceci relève également de l’impossible. Pour s’en sortir, il suffit de transposer le problème du cycliste à sa monture et de considérer alors l’ensemble cycliste + vélo comme objet d’étude. Dans ce cas, le mouvement redevient linéaire et la première formule peut s’appliquer. Il devient relativement facile de déterminer la vitesse de déplacement du cycliste et d’estimer avec une bonne précision, les forces qui s’exercent sur lui. Dans ce cas, la puissance calculée n’est pas la puissance développée par le cycliste, mais la puissance exercée par les forces extérieures contre lui. Heureusement, les principes de Newton nous garantissent qu’elle est l’exacte opposée.

Détail des calculs de puissance

La puissance est une valeur instantanée, indépendante du temps. Dans le cadre de nos calculs, nous nous intéressons à la valeur moyenne développée sur un intervalle de temps donné, typiquement l’ascension d’un col. La vitesse moyenne est donc relativement facilement, puisqu’il s’agit du rapport entre la distance parcourue et le temps mis pour la parcourir. Il suffit alors d’un simple chronomètre et de deux points de repère pour une mesure relativement précise.

Concernant la somme des forces extérieures, faisons tout d’abord un inventaire. Un cycliste est soumis à trois forces qu’il doit compenser, son poids (P), la résistance au roulement (Rr) et la résistance à l’avancement (Ra). Les forces se répartissent ainsi, tel que représentées dans le diagramme suivant. Le paramètre le plus important à retenir est la direction relative de ces forces par rapport au vecteur déplacement. Rr et Rr sont toujours dans le sens opposé du déplacement. Le poids est lui toujours vertical vers le bas, donc son orientation relative dépend de la pente α.

 Schema

Il est maintenant temps de développer la formule initiale pour expliciter chacun des termes composant celle-ci. Pour ceux qui ont gardé des mauvais souvenirs de leur cours de mathématiques, vous pouvez passer directement à la fin du calcul.

Eq3

Pour éviter toute confusion entre la puissance et le poids, ce dernier a été remplacé par mg dans le calcul. Nous obtenons trois termes, représentant chacun la puissance développée par le cycliste pour combattre la force associée.

  • Puissance développée pour vaincre le poids
Eq4
  • m : masse du coureur et de son équipement (en kg)
  • g : constante de gravitation (g=9,81 m.s-2)
  • v : vitesse du cycliste (en m.s-1)
  • α : pente (en rad)

Pour rappel, la pente se calcule en divisant l’élévation de la route par la distance parcourue. Dans le cadre des valeurs usuellement rencontrée, cette valeur peut être considérée à l’angle α apparaissant dans le calcul. Ce terme étant fonction de la pente, il devient prépondérant dès que la route s’élève. En effet, il est strictement nul sur le plat et contribue même naturellement à la progression du cycliste en descente.

 

  • Puissance développée pour vaincre la résistance à l’avancement
Eq5
  • ρ : masse volumique de l’air (en kg.m-3)
  • S : surface frontale du coureur, soit la surface exposée au frottement de l’air (en m²)
  • Cx : coefficient de pénétration dans l’air (-)
  • v : vitesse du cycliste (en m.s-1)

Ce terme devient prépondérant à mesure que la vitesse augmente, à cause du cube sur la vitesse. Il s’agit également du terme qui induit le plus grand biais dans les calculs de puissance. L’équation présentée dans cet article est uniquement valide dans le cadre d’un coureur seul ou en tête de groupe, ne bénéficiant d’aucun abri et en l’absence de vent. Dès que le coureur est le deuxième de la file, l’abri qu’il reçoit de celui qui le précède permet de diminuer la vitesse ressentie. Il est donc nécessaire de corriger l’équation ainsi.

Eq6

Ce détail rend l’évaluation de la puissance bien plus complexe. Dans le cadre d’une montée de col, les vitesses plutôt faibles et l’éparpillement des coureurs encouragent à négliger ce biais. De même, si la montée présente des lacets, il est usuel de considérer que le vent est nul, du moins qu’il se compense sur l’ensemble du parcours.

De même, la masse volumique de l’air est fonction de l’altitude et diminue à mesure que celle-ci s’élève. Pour simplifier le calcul, une valeur moyenne sur l’ensemble de l’ascension est prise, même s’il faudrait tenir compte de cette variation, en particulier quand le calcul porte sur des segments précis. Conserver la même valeur tend à sous-estimer la puissance à fournir au pied de la montée et à surestimer la puissance à fournir sur le sommet.

Les coefficients S et Cx sont eux dépendants du coureur, principalement de son gabarit et de sa position sur le vélo. Il est néanmoins possible d’utiliser des valeurs sans trop faire d’erreur sur le résultat final. L’imprécision est dans ce cas plus faible, par rapport aux biais précédemment explicités.

 

  • Puissance développée pour vaincre la résistance au roulement
Eq7
  • m : masse du coureur et de son équipement (en kg)
  • g : constante de gravitation (g=9,81 m.s-2)
  • Cr : coefficient de roulement, caractérisant le rendement de la chaussée (-)
  • v : vitesse du cycliste (en m.s-1)

Ce terme est le plus souvent négligeable, soit par rapport au poids en montée, soit par rapport à l’avancement sur le plat ou à haute vitesse. Le rendement de la route est lui aussi difficile à évaluer visuellement. Des valeurs standards sont disponibles selon l’état de la route, le coefficient augmentant à mesure que la route se dégrade. Là encore, l’imprécision reste relativement faible comparée à d’autres paramètres.

 

  • Rendement de la chaine mécanique

Comme le problème a été déplacé du cycliste seul, à l’ensemble cycliste + vélo, il convient de ne pas oublier de revenir à la source. La vitesse de déplacement correspond ici à la vitesse de la roue. Cette vitesse est légèrement inférieure à la vitesse qui serait observée si le cycliste mettait directement la roue en mouvement, compte tenu des pertes dans les éléments de la transmission (chaine, pignons…). Il convient donc d’intégrer un coefficient supplémentaire K, qui représente le rendement global du vélo, coefficient strictement inférieur à 1.

Eq8

Comment calcule-t-on la puissance au Gruppetto ?

Tout d’abord, nous utilisons rigoureusement les équations présentées ci-dessus. Ces équations sont d’ailleurs implémentées dans différents calculateurs disponibles sur le net, parfois avec de légères variantes selon la définition donnée à certains paramètres. Comme vous avez pu le constater, l’équation complète repose sur de nombreux paramètres qui ne sont pas connus avec certitude, instaurant autant d’imprécision sur le résultat. La tâche la plus complexe consiste donc à sélectionner les paramètres pour minimiser autant que possible l’incertitude.

Pour parvenir à ce but, le choix a été fait de simplifier le calcul au maximum, de rendre l’équation dépendante d’un minimum de variables et de transformer tous les autres paramètres en constantes. Les seules variables sont donc la pente et la vitesse de déplacement, par extension, la longueur de l’ascension et le temps de montée. Ces données ne peuvent bien entendues pas être figées. Tous les autres paramètres restent invariables quelque soit les conditions, l’ascension ou le cycliste auquel le calcul s’applique. Ces paramètres prennent des valeurs usuelles, suffisamment représentatives des conditions rencontrées sur le terrain.

Le coefficient de rendement K dispose d’un statut particulier, puisqu’il a été de manière spécifique pour minimiser l’erreur induite par le choix des autres paramètres. Plutôt que de minimiser l’erreur sur chaque paramètre, il est plus simple de minimiser l’erreur globale et de la reporter sur un seul paramètre. Cette valeur de K a été obtenue par interpolation par rapport à une mesure de référence. Tout comme on étalonne un capteur de puissance pour s’assurer qu’il renvoie la bonne valeur, notre calculateur est passé sur le banc d’essai. Les données de référence qui ont été choisies sont tout simplement d’autres calculs de puissance, publiés par Frédéric Portoleau et Antoine Vayer sur Cyclismag entre 2007 et 2010. Ces calculs ont le mérite d’avoir une bonne légitimité et d’avoir déjà été confrontés à des mesures réelles. S’aligner sur ces valeurs est donc gage de ne pas trop faire d’erreur. Les mêmes jeux de données (pente, distance, temps) ont été appliqués à notre calculateur et les résultats comparés pour déterminer la meilleure valeur de K. Cette valeur nous assure alors un intervalle de confiance de +/- 1W par rapport au calcul original.

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Par CSC_3187. Crédit photo : McSmit pour Wikipedia Commons

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