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A l’occasion des deux grandes classiques flandriennes que sont le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, le Gruppetto vous propose de découvrir les lieux mythiques de ces épreuves. Deuxième épisode avec les secteurs pavés de Paris Roubaix.

Les secteurs pavés de Paris-Roubaix

1- Compiègne

Si la course s’intitule toujours Paris-Roubaix, elle ne s’élance plus de la capitale ou de ses environs depuis 1968. Le départ a en effet lieu en Picardie dans la cité de Compiègne. C’est en face du château de la ville qu’est donné le départ fictif de la classique. Dès cet instant, le thème de la journée est présent puisque les premiers tours de roue s’effectuent sur une chaussée pavée. Il s’agit bien sûr de pavés citadins, bien loin des chemins défoncés qui attendent les coureurs. Ces pavés ont pourtant été le témoin d’un exploit majeur d’un acteur de la classique.  Tour de France 2007, troisième étape, les coureurs arrivent à Compiègne au terme de l’étape la plus longue de cette édition (238km).  Tout au long de la journée, le peloton a joué au chat et à la souris avec les deux, puis quatre, échappés. A cinq kilomètres du but, leur avance est de 50s, suffisant pour aller au bout mais l’entente se rompt. Juste avant la flamme rouge, les coureurs passent devant le chateau et ses pavés. Bien placé à l’entrée de cette dernière ligne droite de 1000m, le maillot jaune Fabian Cancellara sort du peloton, rejoint les échappés et conserve quelques mètres d’avance sur les sprinteurs revenus comme des balles. Assurément, le plus bel exploit du suisse sur le Tour de France dont c’est la seule victoire sur une étape en ligne.

2- Troisvilles (2200m, ***)

Si Paris-Roubaix est surnommé l’Enfer du Nord, alors Troisvilles est la porte de l’Enfer. C’est ici que démarre le premier secteur de la course, le dernier dans la numérotation en fait, puisque celle-ci s’effectue dans l’ordre décroissant. Situé après un peu moins de 100km de la course, Troisvilles est encore très loin de l’arrivée, distante de plus de 150km. C’est cependant un endroit stratégique où la course peut se perdre. La tension est donc palpable dans le peloton et la lutte pour se placer dans les premières positions fait rage dans les kilomètres qui précèdent. Pour les favoris, Troisvilles c’est aussi le premier contact avec les pavés et parfois la fin des illusions : certains savent déjà la course perdue, faute de sensations.

3- Le secteur du Buat (1700m, ***)

Le secteur du Buat se situe à Capelle-sur-Ecaillon et a été introduit en 2005.  Ce secteur est  « renommé » pour la particularité de son profil qui comporte une courte montée de 400m à 7%, ce qui lui a valu des comparaisons avec les monts flandriens. Cependant, il n’a jamais réellement pesé sur la course, étant surement trop distant de l’arrivée (~130km) pour cela. D’ailleurs, ce secteur a été retiré du parcours suite à l’édition 2012 et ne sera donc pas au menu de l’Enfer du Nord 2014.

4- Le Chemin des Postes (2600m, *****)

Autre absent de cette édition 2014, le chemin des Postes laisse plus de regrets. Situé à Aulnoy-lès-Valenciennes, ce long secteur de 2600m au pavé défectueux est classé cinq étoiles, soit la plus haute difficulté possible. C’est un secteur découvert récemment puisqu’il a été introduit en 2005 pour combler l’absence de la Trouée d’Arenberg, condamnée aux travaux cette année-là. Cet intérim ne dura qu’un an puisque dès 2006, il fut retiré du parcours avant d’y revenir en 2011 et 2012, cette fois en présence de la tranchée. Ces deux années, Paris-Roubaix présentait ainsi quatre secteurs pavés classés cinq étoiles à son programme ! En trois éditions, le chemin des Postes n’a pas eu le temps de se forger une légende comme ses camarades « cinq étoiles ». Dommage car il en a le potentiel. Le danger de ce secteur provient de sa configuration. Il débute par un long faux plat descendant qui garantit une vitesse maximale avant un virage à 90° à gauche et un faux-plat montant cette fois-ci. A cet endroit, le secteur n’est pas bordé de champs mais de talus, les coureurs n’ont donc pas d’échappatoires en cas de chute. Le placement à l’avant y est donc primordial.

5- Le secteur d’Haveluy (2500m, ****)

Le secteur d’Haveluy marque l’entrée dans la phase finale de la course. En effet, succédant à dix kilomètres de routes larges et asphaltées autour de Denain, c’est le dernier secteur pavé avant la fameuse Trouée d’Arenberg qu’il précède de huit kilomètres. La bataille pour assurer son placement avant la tranchée mythique y fait donc rage et ce secteur est généralement avalé à haute vitesse. Haveluy, ce fut aussi le dernier secteur emprunté lors de l’étape des pavés du Tour de France 2010. Mais il ne sera pas emprunté lors du Tour 2014…

 6- La Tranchée d’Arenberg (2400m, *****)

Trouée, Tranchée, Drève des Boules d’Hérin… Arenberg, c’est avant tout un décor : des maisons en brique rouges, de fiers chevalements de mines dressés devant la forêt de Raismes, une artère droite qui transperce le bois, des milliers de spectateurs déchaînés et des pavés. Le secteur mythique de Paris-Roubaix fut introduit au parcours en 1968 suite à la réorganisation progressive du tracé à la fin des années 60. En effet, à cette époque le kilométrage pavé a été constamment réduit suite au bitumage progressif du tracé de la classique. En 1965, Paris-Roubaix ne compte que 22km de pavé. La course est alors très rapide et se joue systématiquement au sprint : en 1964, Peter Post l’emporte à la moyenne record de 45.1 km/h ! En 1966, Jacques Goddet, organisateur de la course, décide de déplacer le départ (Chantilly puis Compiègne) et de se lancer à la recherche de nouveaux secteurs pavés. La célèbre tranchée sera ainsi indiqué par le coureur local Jean Stablinski en 1968. Celui-ci connaissait l’existence de ce chemin perdu de la forêt de Raismes pour avoir travailler sur le site minier d’Arenberg avant sa carrière cycliste. Le champion du monde 1962 aimait à dire qu’il était « le seul coureur à être passé dessus et dessous ». Depuis 2008, une stèle en hommage à Jean Stablinski trône à l’entrée de la tranchée.

Trouée d'Arenberg

La Trouée d’Arenberg, un moment clé de la course

Dès son introduction, la tranchée marqua l’esprit. Ses pavés totalement irréguliers, l’herbe qui pousse entre les blocs de pierre, l’humidité résiduelle de la forêt et la haute vitesse des coureurs (le secteur est en faux-plat descendant) en font le secteur le plus difficile de la classique. Placée à 90km de l’arrivée, elle fait constamment exploser le peloton. Les chutes y sont fréquentes et n’épargnent pas les favoris. En 1998, Johann Museeuw se fracture la rotule, en 2001, le regretté Philippe Gaumont y laisse un fémur. En 2011, Tom Boonen y perd ses chances de victoire sur un bris de chaîne. A chaque chute grave, la polémique sur sa présence renaît et des travaux sont organisés. Depuis 2006, les spectateurs sont confinés derrière des barrières sur le côté droit des pavés. A gauche, un fossé boueux, labouré la veille de la course. Fini donc les images d’antan de coureurs serpentant entre et derrière les spectateurs pour éviter les pavés. Désormais l’affrontement est obligatoire…

7- Le Pont-Gibus (1600m, ***)

Ce secteur situé à Wallers se trouve 3500m après la sortie de la Trouée d’Arenberg. Il tire son nom du graffiti « Gibus » inscrit sur le pont désaffecté que croisent les coureurs à mi-secteur. Gibus, c’est bien sûr le surnom de Gilbert Duclos-Lassalle, double vainqueur de Paris-Roubaix en 1992 et 1993 à 38 et 39 ans ! L’hommage n’est pas aléatoire puisque lors de son premier succès, le béarnais avait attaqué sur ce secteur. Retiré du parcours en 2008, suite à des problèmes d’évacuation des eaux, le Pont-Gibus a fait son retour en 2013, au prix de lourds travaux. Autre conséquence, sa difficulté « quatre étoiles » a été revu à la baisse puisqu’il est désormais catalogué « trois étoiles ». En 2014, le secteur sera aussi au programme de la cinquième étape du Tour de France entre Ypres et Arenberg (Porte du Hainaut). Dernier secteur de cette étape qui en comptera neuf, pour un total de 15km pavés, il sera toutefois emprunté dans le sens inverse de celui de l’Enfer du Nord.

 8- Le secteur de Beuvry-la-Forêt (1400m, ***)

Le particularité du secteur de Beuvry-la-Forêt est d’avoir été construit pour les besoins de la course. Tel le Paterberg du Ronde, le secteur a en effet été réalisé sur un chemin lambda à partir de pavés prélevés sur d’autres secteurs inutilisés de la région. Les organisateurs de la classique souhaitait un secteur dans cette zone pour casser la trop longue « pause » asphaltée entre Sars-et-Rosières et Orchies, propice aux regroupements et autres temporisations. Introduit en 2007, le secteur a été baptisé « Pavé Marc Madiot » du nom d’un autre double vainqueur français (1985 & 1991), aujourd’hui directeur sportif de la FDJ et fanatique de Paris-Roubaix.

9- Mons-en-Pévèle (3000m, *****)

Mons-en-Pévèle est un bourg historique du Paris-Roubaix. C’est là que se trouve la côte du Pas-Roland, auparavant pavée, et difficulté majeure des éditions des années 50. De nos jours, le secteur de Mons-en-Pévèle est un des secteurs les plus long de la course. Son pavé irrégulier lui vaut une notation « cinq étoiles ». C’est donc un point névralgique de la course, à cinquante kilomètres environ de l’arrivée. Le tracé du secteur est original puisqu’il se compose de trois lignes droites séparées par deux virages à 90° pour autant de relances. Sa longueur permet une vraie sélection entre les hommes forts et le travail des équipiers prend souvent fin ici. Parfois, il est même décisif pour la victoire finale : en 2010, c’est sur ce secteur que Fabian Cancellara rattrapait les quelques échappés précédant le groupe des favoris dont il venait de s’extraire avant de s’envoler vers une victoire en solitaire. La démonstration de puissance du suisse avait alimenté la polémique du « moteur électrique ». Autre image marquante des dernières éditions, la chute de George Hincapie en 2005 suite à un bris de potence. Guidon en main, le coureur américain avait goûté de près le pavé de Mons-en-Pévèle…

Mons en Pévèle

Mons-en-Pévèle, un secteur rendu difficile par ses virages à angle droit.

10- Le secteur du Moulin de Vertain (500m, **)

Le secteur du Moulin de Vertain est l’un des plus courts de la course. Il se trouve à Templeuve dans une zone autrefois dépourvue en pavée. En effet entre la sortie du secteur du Pont-Thibault et l’entrée dans le secteur de Cysoing, il y a une dizaine de kilomètres et quasiment aucun pavé. Conscient des problèmes causés par ce manque sur le rythme de la course, les organisateurs se mettent à la recherche de secteurs pavés. Il découvre ainsi le passage de l’Epinette mais dont la très faible longueur (200m) n’est pas suffisante. Au début des années 2000, ils vont cela dit faire une découverte plus fructueuse. Suivant les indications d’une habitante locale qui certifie que sa mère a connu des pavés au pied d’un moulin dans sa jeunesse, ils vont défriché 500m de pavés au pied du Moulin de Vertain. Ses pavés sont ainsi restés plus d’une cinquantaine d’années enfouis sous quarante centimètres de terre et de gravier avant de s’offrir une seconde vie pour Paris-Roubaix.

11- Le Carrefour de l’Arbre (2100m, *****)

Le secteur du Carrefour de l’Arbre est certainement le secteur le plus décisif de la course. Il tire son nom d’une auberge, l’Arbre, qui se trouve à la sortie de secteur. Dernier cinq étoiles au programme des coureurs, ce secteur se situe dans la partie finale de la course qui voit s’enchaîner entre Cysoing et Gruson cinq secteurs pavés (7400m de pavé sur cette section de 12km environ). Le secteur commence par quatre courbes rapprochés pour autant de virages. Très poussiéreux, le risque de chute y est omniprésent. En 2009, l’espagnol Juan-Antonio Flecha puis Thor Hushovd allaient au sol, permettant l’envolée solitaire de Tom Boonen. Le reste du secteur consiste en deux ligne droites planes séparés par un virage à 90°. Cette section donne souvent lieu à une passe d’armes entre leaders, à l’image de Marc Madiot irrésistible en 1991. Outre le mauvais pavé, les coureurs doivent aussi se méfier des débordements des spectateurs très nombreux sur ce secteur. Depuis quelques années, la vente d’alcool y est même prohibée le jour de la course mais le danger demeure : en 2013, Vandenbergh et Stybar connaissaient respectivement la chute et le déchaussement pour avoir frôlé d’un peu trop près le public déchaîné. Au passage devant la célèbre auberge, il reste moins de 15km à parcourir jusqu’au vélodrome. Au bout du secteur, les coureurs prennent une épingle à droite et se jettent dans le suivant, Gruson, au pavé beaucoup plus régulier et qui était inclus dans le secteur de l’Arbre jusque dans les années 90.

Carrefour de l'arbre

Les coureurs aperçoivent l’auberge de l’Arbre au bout de ce secteur

12- Hem (1400m, *)

Hem est un passage historique de l’Enfer du Nord. Avant la seconde guerre mondiale, les quarante derniers kilomètres de la classique étaient pavés dont le passage dans Hem. Suite à l’asphaltage progressif des routes, il ne reste qu’un court tronçon de 1400m, pavé au milieu et doté de deux larges bande de bitume sur ses bords. La route qui serpente oblige cependant à traverser ces derniers pavés pour rejoindre l’un ou l’autre côté favorable. C’est ce changement de trajectoire banal qui couta peut-être un quatrième Paris-Roubaix à Johann Museuuw. En 2004, pour sa dernière participation, le Lion des Flandres était échappé avec quatre coureurs avant de percer dans Hem, voyant le record (égalé) de victoires lui filer sous le nez.

Hem

Le secteur de Hem marque la fin des pavés

13- Roubaix et le Vélodrome

Si les images des pavés sont l’ADN de l’Enfer du Nord, l’emblème de la course est certainement son vélodrome d’arrivée. Paris-Roubaix est en effet la seule classique à avoir conserver la tradition d’une arrivée sur vélodrome, ce qui était la norme des courses cyclistes dans les années 50. Depuis 1996, l’entrée dans le Vélodrome est précédée du dernier secteur pavé de la course. D’une longueur de 300m, cette zone est nommée Espace Charles-Crupelandt du nom du seul cycliste roubaisien vainqueur de la course (1912 & 1914). Le Vélodrome insuffle la dernière magie à la course. Il offre un sprint atypique entre plusieurs hommes (Madiot 1991, Guesdon 1997, Backstedt 2004, Boonen 2008) ou permet l’hommage du public aux vainqueurs solitaires (Tchmil 1994, Museuuw 2000, Cancellara 2010, Boonen 2012) ou encore des moments d’anthologie comme le sprint de 1993 entre Ballerini et Duclos-Lassalle, vainqueur pour un souffle. En 1949, le Vélodrome a même eu le droit à deux vainqueurs : le français Mahé, échappé mal aiguillé par les commissaires, rejoignant Serse Coppi, frère de l’illustre Fausto, vainqueur du sprint des poursuivants. L’affront fut lavé par le Campionissimo dès l’année suivante : victoire en solitaire avec trois minutes d’avance ! Le Vélodrome ce sont aussi ses fameuses douches, nommées d’après les vainqueurs, désormais obsolètes à l’heure des Pullman.

Vélodrome Roubaix

Le vélodrome, lieu atypique, récompense les vainqueurs et les courageux qui auront fini la course.

 

Par Svam,

Crédits images : Wikipedia Commons (TVA, Jack Thurston, JohnJohn59, Thomas Ducroquet)

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