C’est normalement la dernière occasion pour les baroudeurs de l’emporter, alors le départ en faux-plat descendant est évidemment très rapide. Plusieurs Lotto Jumbo s’y essaient, mais bizarrement les Movistar, Europcar, Lotto Soudal et Katusha s’entendent systématiquement pour les museler sans raison. Comme les jours précédents à vrai dire, mais cette fois tout le monde s'y met... Le sprinter Hathaway ne fait pas exception, mais insiste aux côtés de Valverde, Kiserlovski, Taaramae, Roche, Talansky ou Fuglsang, très offensifs également. Le gallois passe du coup en tête du sprint intermédiaire alors que Sagan ne prend que 7 points en tête du peloton. Avec désormais 32 points d’avance, il s’offre une très belle option sur le maillot vert. Espérons qu’il ne fasse pas comme son équipier Breschel, qui avait dilapidé une telle avance en 2012. Mais revenons au direct, où le groupe de tête est repris et Gallopin tente de durcir l’allure en bas de la Croix-de-Fer. Ce n’est pas suffisant pour empêcher les deux hommes forts d’hier, Schleck et Roche, de sortir avec Kiserlovski et Voeckler. Ce quatuor monte son avance à deux minutes quand Gallopin s’écarte. Sans trop le vouloir, Pinot, Froome et Tony Martin se retrouvent alors quelques mètres devant le peloton. La FDJ y voit une opportunité et demande à son champion allemand de se mettre à la planche pour Pinot ! Martin leur donne une minute d’avance avant de s’écarter. Pinot poursuit alors le forcing, relayé par Froome qui pourrait pourtant payer ce coup de panache inutile. Derrière, les Trek montent au même rythme que le quatuor de tête, mais perd du terrain sur Froome et Pinot qui reviennent sur la tête à 10 kms du sommet. Tout aussi bizarrement que sur leur attaque, les deux hommes se relèvent alors complètement en voyant que les autres échappés ne les relaient (logiquement) pas. Fuglsang fait alors l’effort complètement à contretemps, ce qui oblige Izagirre à prendre le manche du peloton. Voyant la mésentente à l’avant, le basque ne se presse pas pour rentrer, ce qui permet à des attardés de revenir. Ce sont donc une soixantaine de coureurs qui font la jonction avec les sept hommes de tête à six kms du sommet.
Aussitôt, Andy Schleck se réveille et repart. Il ne se relève pas jusqu’au sommet où il conforte son maillot à pois. Fuglsang est de nouveau en contre à 1'30" tandis que les Lotto Jumbo mènent désormais à un bon rythme le groupe maillot jaune. Izagirre fait une belle montée, au point de décrocher Valverde, qui paye ses attaques précoces, et Rui Costa, le 11e du général ! 2’40’’ après l'homme de tête, Kruijswijk prend les points restants mais il en possède désormais 32 de retard. Schleck a donc quasiment assuré son maillot car il faudrait une victoire de Quintana ou une 3e place de Kruijswijk en haut de l'Alpe pour l’en priver. Tout en supposant que dans le même temps, il ne marque plus de point non plus… Bref, 22 coureurs composent le groupe maillot jaune qui fait jeu égal avec l’homme de tête dans la descente, toujours sous l’impulsion d’Izagirre. Fuglsang dévale quant à lui la pente à tombeau ouvert pour rejoindre Schleck. Le duo possède toujours 2’30’’ au bas de la descente et se relaie bien, mais le vent leur est défavorable. À l’arrière, Izagirre est désormais secondé par Coppel. Les deux hommes n’ont pas besoin d’en garder pour la montée finale, ils reprennent donc de plus en plus de temps, au point de revenir exactement au pied de l’Alpe d’Huez ! Les favoris vont donc s’offrir une explication royale, et de suite Kruijswijk accélère ! Avec son statut d’outsider, il n’obtient pas le lest espéré car les Sky le prennent en chasse. L’écart monte cependant à 40 secondes quand Pinot attaque à son tour à 12 kms du sommet. Coppel hausse donc encore le rythme et s’écarte juste au moment où Pinot revient sur Kruijswijk. Le néerlandais n’a pas d’intérêt à relayer, le français s’en agace très vite mais se sent fort. Il attaque et Kruijswijk n’a pas le punch pour réagir. Il est même repris par Uran, qui fait désormais le boulot pour Chris Froome.
Si Kruijswijk est rentré dans le rang, en revanche Pinot vole ! À 7 kms du sommet, son avance atteint la minute trente et il commence à menacer le maillot blanc de Quintana. Le colombien réagit alors que les autres leaders se reposent toujours sur le gros numéro d’Uran. Celui-ci réduit d’ailleurs le groupe maillot jaune à sa portion congrue : lui, Froome, Nibali, Roche, A.Schleck, Gesink, Kruijswijk et De Gendt. Le 3e du général, Contador, est donc absent ! Gesink n’a lui toujours rien tenté contre Froome, et c’est même le maillot jaune qui attaque à 5 kms du but ! L’accélération est fulgurante, le britannique laisse sur place tous ses adversaires y compris Gesink, qu’on voit parlementer avec Kruijswijk. Le second nommé fait un geste énervé de la main, et c’est alors Gesink qui prend la tête du groupe ! Kruijswijk reste en second rideau avec Nibali, pendant que Schleck, Roche et De Gendt lâchent au fil des lacets. Devant, l’écart se creuse avec Froome, qui dépose Quintana et fond à toute allure sur Pinot. Il revient sur le français quasiment au moment où Quintana est lui repris par Gesink, Kruijswijk et Nibali. Le duo de tête s’entend bien, il ne perd donc rien de son avance et va se disputer l’étape au sprint. Froome le lance en tête, Pinot fait illusion à peine cent mètres, avant de laisser Froome filer vers la victoire. Sur cette étape mythique, maillot jaune sur le dos, il lève les bras pour la première fois de sa carrière sur le Tour ! De quoi valider avec brio son deuxième maillot jaune. Derrière, la 3e place se joue au sprint mais à près d’une minute de Pinot, ce qui permet au français de doubler Nibali au général. L’italien a laissé travailler Gesink, il peut s'en mordre les doigts. Il le déborde pour la forme, mais se fait à son tour déposer par un Kruijswijk qui a clairement joué sa carte aujourd’hui. Pourquoi ? Rappelons qu’il possédait 32 points de retard sur Andy Schleck au classement de la montagne, et que cette 3e place lui en rapporte 36 ! Il faut désormais que le luxembourgeois ne termine pas dans les dix premiers. Ce qui n’est pas fait car Schleck arrive dans le groupe qui se joue la 7e place. Même s'ils ont été distancés avant, Rolland et Poels finissent plus fort, comme hier d’ailleurs, et se classent 7 et 8e. Reste donc Schleck, De Gendt, Roche et Uran, qui a beaucoup travaillé et ne peut lutter. Le sprint est serré, De Gendt prend l’avantage et c’est finalement… Roche qui s’empare de la 10e place ! La désillusion est cruelle pour Andy Schleck, 11e, donc, qui paye sûrement sa longue échappée et perd son maillot fraichement acquis pour 4 petits points ! Maigre consolation, il passe pour 16 secondes devant Van den Broeck au général pour rentrer in extremis dans le top 10. L’autre grosse opération est l’œuvre de Quintana, dans le dur comme Pinot hier, et qui rend la pareille à Contador aujourd’hui. Le madrilène termine 13e à 3’51’’, largement de quoi le faire tomber du podium, et même le sortir du top 5 derrière Pinot et Nibali ! Il possédait pourtant respectivement 2’30’’ et trois minutes d’avance sur eux ce matin ! L’autre grosse craquante est subie par Rui Costa, 11e du général ce matin et qu’on avait laissé en perdition dans la Croix-de-Fer. Le portugais termine 52e à 16 minutes de Froome ! Taaramae a le même débours, perdant 7 places au général. Notons enfin une vingtaine de hors-délais, dont les sprinters Kittel, Démare, Kristoff, Boonen, Farrar, mais aussi Chavanel et Leezer.
Brèves de l'équipe
Il n'est pas toujours facile d'être directeur sportif, surtout lorsqu'il s'agit de faire tampon entre deux leaders en colère. Même si pour le coup, Kruijswijk paraissait plus amusé qu'autre chose.
« C'est inadmissible ! »
« C'est ça, excite toi. Attaque-moi maintenant que la course est finie. »
« Calmez-vous, calmez-vous ! »
« Que je me calme ?! Tu l'as vu comme moi, ce type est une ordure, un traitre ! »
« N'im-por-te quoi. »
« Calmez-vous les gars, par pitié, vous allez attirer les oreilles indiscrètes... »
« JE M'EN FOUS ! Tu as vu son attitude ? Il n'en fait qu'à sa tête, explique-lui ce que c'est d'être le lieutenant d'un leader, Monsieur ne comprend pas. »
« Ah on a un leader dans l'équipe ? Merci de me l'apprendre. »
« Le leader désigné, c'était Robert... » osa le DS d'une petite voix.
« Désigné, j'entends bien. Dans les faits, on en est loin. Un leader se bat, un leader écoute ses équipiers. Il ne croit pas que sa place lui est acquise sans résultat. »
« Mais je rêve ! Tu t'es vu, toi ?! Tu te prends pour qui à me donner des leçons. S'il y a un leader apprécié ici, c'est moi. »
« Et s'il y en a un qui obtient des résultats, c'est moi. »
« Laisse-moi rire. »
« QUI a remplis ses objectifs ici, sur le Tour ? QUI a échoué ? On nous a demandé des victoires d'étape, c'est fait. Le maillot vert ? Fait. Le maillot à pois ? Fait. Porter le jaune ? Fait. Nos deux seuls échecs, c'est le TTT où on t'a attendu, et le général. Les deux à cause de toi. »
« Un échec de finir 2e du général, bien sûr on y croit. Et me reprocher de ne pas gagner alors que, moi, je dois me coltiner Froome et Contador, pas Kiserlovski dans une vieille échappée. »
« Oui, deux échecs. Ne t'ai-je pas prévenu de suite de ne pas sous-estimer tes adversaires ? Ne t'ai-je pas demandé dès la sortie des Pyrénées d'attaquer ? De prendre des risques ? Est-ce que tu m'as écouté ? Non. Ne me suis-je pas pourtant sacrifié autant que j'ai pu pour toi, jusqu'à ce que tu n'aies plus aucune chance et que je doive sauver les meubles sur une étape ? J'ai fait ce que j'ai pu malgré ton attitude, mais on ne récolte que ce qu'on sème. »
« Tu es aberrant de mauvaise foi. Je ne te veux plus jamais dans ma team ! »
« Dans TA team ? Laisse-moi rire à mon tour. »
« Calme-toi Robert. On verra l'an prochain avec qui tu seras, mais on ne... »
« QUOI ?!?! » Le sang de Kruijswijk n'avait fait qu'un tour sur ces quelques mots. « Après tout ce qu'il fait, tout ce qu'il ne fait PAS, surtout, et tout ce que JE prouve, vous lui laissez encore la priorité ? Il vous faut quoi de plus ? Putain j'en ai marre, je le sentais. Je suis pris pour un guignol ici. »
« Mais non... »
« Eh oui, reviens demander le leadership quand tu auras un top 10 du Tour, et contente-toi du Giro d'ici-là. »
« Le top 10, je l'aurai largement eu si je ne bossais pas pour toi. Mais je ne me contente pas de ça, contrairement à certains. »
« Mais non, mais non, laissez-moi en placer une s'il vous plait ! » Il se tortillait les mains et semblait à deux doigts de fondre en larmes. « Je n'avais pas fini. Les torts sont partagés... Vous réagissez à chaud, mais on va débriefer calmement, en tirer des leçons et repartir sur de bonnes bases. On a le temps de voir venir, mais on sera encore plus forts si on vient à deux co-leaders, deux menaces pour les autres... »
« QUOI ?!?! Ce mec a une attitude détestable, et vous le récompensez avec un rôle de leader ! Belle mentalité, je n'y crois pas ! »
« T'en fais pas pour ça, même si ça avait été le cas officiellement, je ne serais jamais leader ici. J'ai beaucoup d'offres de la concurrence, je me casse ! »
« Ne te donne pas cette peine. Je suis atterré de ces trahisons, je ne peux pas m'épanouir avec des dirigeants avec cette mentalité. C'est moi qui me casse ! Un pourri au milieu de pourritures, amuse-toi bien. »
* Claquements de portes * Le DS se retrouve seul à trépigner sur place.
« Ménonménonménonménon, calmez-vous calmez-vous calmez-vous. Qu'est-ce que je fais maintenant, moi ? Pourquoi je ne les ai pas prolongé plus tôt... ? »