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Lors de cette saison 2017, le Colombien Nairo Quintana va relever le défi ambitieux de remporter le Giro d’Italia et le Tour de France en moins de trois mois. Le dernier à avoir réalisé cet exploit est Marco Pantani, il y a dix-neuf ans déjà. Mais alors cette performance est-elle encore réalisable dans le cyclisme moderne ? Et surtout Quintana a-t-il les capacités pour y parvenir ? Le grimpeur de la Movistar ne serait que le huitième homme à s’imposer dans les deux épreuves la même année.

Peu de personnes croient en la possibilité de ce doublé. S’il est vrai que personne n’y est parvenu depuis Marco Pantani, peu de coureurs l’ont réellement tenté : Armstrong et Ullrich ne se sont jamais intéressés au Giro. Parmi les vainqueurs du Giro s’étant ensuite présentés sur le Tour, Gotti (1999) Menchov (2009) et Hesjedal (2012) ont vu leurs chances de succès s’envoler suite à des chutes, tandis que Paolo Savoldelli (2005) et Vincenzo Nibali (2016) sont arrivés au départ de la Grande Boucle avec le statut d’équipier pour Armstrong et Aru. Enfin Ivan Basso, grand favori du Tour 2006 après son étincelante victoire sur le Giro est contraint de renoncer au doublé suite à l’éclatement de l’affaire Puerto. Les seuls à avoir pu réellement défendre leurs chances restent Gilberto Simoni et un Alberto Contador vieillissant. Notons tout de même que le Pistolero au sommet de son art n’avait pu faire mieux que 5e du Tour 2011 après avoir triomphé sur le Giro (ces résultats lui ayant été retirés pour dopage en février 2012).

Parmi les membres du top 10 du dernier Tour d’Italie, seuls trois d’entre eux ont enchaîné sur la grande messe de juillet, avec des fortunes très diverses. Nibali tout d’abord, l’Italien est arrivé avec un rôle d’équipier pour Fabio Aru, et sans vraie motivation. Il n’a jamais vraiment été dans le rythme. Le second est Rafal Majka (5e du Giro) qui venait pour seconder Contador. Après l’abandon de ce dernier il a librement pu prendre les échappées pour aller conquérir un second maillot à pois. Mais celui qui doit donner espoir à Quintana est son coéquipier à la Movistar, Alejandro Valverde. En effet l’Espagnol était parmi les meilleurs sur le Giro (podium final) puis le Tour (6e) après un début de saison déjà très chargé. Il faut cependant relativiser : si la course avait été plus active, peut-être qu’il aurait plus souffert. En tout cas Valverde est la preuve vivante qu’enchaîner les deux courses à un haut niveau est faisable.

D’après un sondage réalisé ici même sur le Gruppetto, seuls 36% d’entre nous pensent Quintana capable de réussir son pari. Pourtant en 2013, lorsque Bradley Wiggins a annoncé viser le doublé, il s’était trouvé un soutien de poids en la personne de Bernard Hinault auteur de cette performance en 1982 et 1985. Wiggins était alors tenant du titre sur le Tour de France, mais il s’était raté complètement sur le Giro et avait été remplacé par Froome à la tête de l’armada Sky en juillet. Pour le Blaireau, un programme de course et un entraînement adapté pouvaient lui permettre de réussir cet objectif. Il considère que si personne n’y est parvenu depuis Pantani, c’est surtout à cause de la frilosité des grands leaders qui ne s’y risquent plus. Si certains pensaient Wiggins capable de faire ce doublé, pourquoi en serait-il différent pour Quintana ? Hinault pense même que le triplé Giro-Tour-Vuelta est réalisable avec le calendrier actuel (peut-être est-il un peu trop optimiste finalement).

Il est temps de s’attarder sur Nairo Quintana lui-même. Ses qualités naturelles en font un prétendant légitime à la victoire sur le Giro et le Tour, courus individuellement. Mais qu’en est-il pour l’enchaînement des deux épreuves ? Quintana est un coureur endurant, bénéficiant de très bonnes facultés de récupération. On a souvent vu le Colombien en grande forme en troisième semaine de Grand Tour (Tours de France 2013 et 2015, Giro 2014, Vuelta 2016 …). L’enchaînement de deux grands tours (Tour de France puis Vuelta) ne lui a pas non plus posé problème en 2015 et 2016. Ce Giro pourrait même être un atout dans la manche du Colombien, à condition de bien mettre à profit le phénomène de surcompensation. Il pourrait ainsi arriver sur la Grande Boucle plus fort que s’il n’avait pas couru le Tour d’Italie. Laurent Fignon, grand adepte de cette technique est passé tout près du Graal à deux reprises, dans des conditions douteuses en 1984 (2e du Giro, vainqueur du Tour), puis en 1989 (vainqueur en Italie, 2e en France). Enfin rappelons que les leaders ayant échoués dans la quête du doublé avaient deux grands objectifs : le Tour d’Italie puis le Tour de France. Ils ont essayés, en vain, de programmer deux pics de forme. Au contraire Quintana garde bien le Tour comme objectif n°1, quitte à arriver moins en forme (et donc peut-être plus en difficulté) sur le Giro avant d’être au maximum de ses moyens avec un pic de forme précis pour juillet.

Depuis 2013 Quintana a pris part à sept grands tours, pour six tops 4, et un abandon sur la Vuelta 2014 alors qu’il portait le maillot rouge, une régularité impressionnante. Cette année Quintana s’est déjà imposé au Tour de Valence et sur Tirreno-Adriatico, puis a pris la deuxième place du Tour des Asturies, remportant chaque fois l’étape reine.

Attaque de Quintana ?

En l’absence de Froome, Contador, Porte et Cháves, Quintana est clairement le meilleur grimpeur au départ du Giro. Il devrait pouvoir distancer assez loin les meilleurs rouleurs du peloton (Dumoulin, Jungels, Pinot, Van Garderen, Thomas …) dans les grands cols. On voit mal qui pourrait le décrocher à la régulière en montagne s’il est en forme. Rappelons que sur l’étape reine du Tirreno-Adriatico il s’était débarrassé de tous ses adversaires, dont la plupart de ceux qu’il retrouvera au Giro. Parmi ses adversaires du mois de mai, seuls Zakarin et Kruisjwijk avaient échappés à la démonstration de Quintana. Le Colombien devrait pouvoir limiter la casse en chrono, voire reprendre du temps sur certains. En atteste sa performance sur la 19e étape de la dernière Vuelta : 11e de l’étape à 2’16 d’un Chris Froome stratosphérique, à seulement 19’’ de Contador et plus d’une minute devant Cháves, ses autres adversaires au général. Enfin avec à ses côtés Amador (2 tops 10 sur l’épreuve), Izagirre (4e de Paris-Nice et soutien précieux lors de sa victoire sur le Giro 2014), Anacona, De la Parte, Herrada, Sutherland, Rojas et Bennati, Quintana est à la tête d’une équipe solide aussi bien en montagne qu’en plaine.

Après le Giro, Quintana s’attaquera au Tour de France. Le parcours de cette année lui convient plutôt bien. Avec seulement 37 kilomètres de contre-la-montre Quintana pourra limiter les dégâts sur Chris Froome son principal rival. Rival qu’il a d’ailleurs devancé lors de leur dernier affrontement sur la Vuelta. Hormis le Britannique on voit mal qui dans le peloton peut faire de l’ombre au leader de la Movistar. La principale inconnue réside dans sa condition le 1e juillet prochain. Enfin rappelons que Quintana pourra compter sur Alejandro Valverde pour essayer de déstabiliser la Sky. Le Murcian est impressionnant cette année avec des victoires sur presque toutes les courses auxquelles il a participé : Tours de Murcie, d’Andalousie, de Catalogne et du Pays-Basque ainsi que la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Chris Froome a d’ailleurs déclaré récemment : « si Valverde reste à ce niveau, il va être l’homme à battre en juillet ». Quintana dispose ainsi de nombreuses options tactiques pour faire dérailler le traditionnel train Sky, à condition bien-sûr de se montrer offensif. Avoir un homme du niveau de Valverde à ses côtés ne lui sera pas utile s’il attend les pentes de l’Izoard pour attaquer.

S’il réussi son pari, Quintana ne serait que le 8e homme à réaliser cet exploit, en plus de devenir le 7e à remporter les 3 Grands Tours dans sa carrière. Il rejoindrait ainsi au panthéon du cyclisme certains des plus grands champions de notre sport. Voici la liste des coureurs ayant réussi le doublé jusqu’à présent.

Fausto Coppi (1949 et 1952)
Jacques Anquetil (1964)
Eddy Merckx (1970, 1972 et 1974)
Bernard Hinault (1982 et 1985)
Stephen Roche (1987)
Miguel Indurain (1992 et 1993)
Marco Pantani (1998)

 

Par Flo.

Crédit Photo : Engie Italia & Georges Ménager via Flickr.com
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