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Le col de la Croix-de-Fer a toujours vécu dans l’ombre de son prestigieux voisin, le Galibier. Ce n’est qu’en 1947 que le Tour de France inaugure cette ascension, depuis un client régulier du Tour avec 28 passages.

Le versant Sud

Le premier versant utilisé par le Tour de France. Le Tour de France 2015 marque d’ailleurs une profonde innovation dans son usage, l’habitude étant d’en faire la première difficulté de la journée (avec un départ de Grenoble ou de Bourg d’Oisans), et non l’ascension majeure de la fin d’étape. Le versant Sud aura été couplé 5 fois avec le Galibier (1947, 1952, 1966, 1993, 1998), et 5 fois avec le col de la Madeleine (1983, 1994, 1997, 2004, 2013), pour un total de douze passages.

L’enchaînement Croix-de-Fer / Galibier aboutira souvent au même schéma : un simple écrémage et des coureurs attendant plutôt le Galibier pour se livrer. Certes, en 1947 Fermo Camellini s’y isole et y construit sa victoire à Briançon et en 1952 les attaques de l’équipe de France pousseront Fausto Coppi à contrer dans le Galibier, s’échapper en solitaire et s’imposer avec plus de 7 minutes sur Bernardo Ruiz à Sestrieres, mais le Galibier aura systématiquement les honneurs, avec une apothéose en 1998 lors de la victoire de Pantani aux Deux-Alpes.

L’enchaînement avec le col de la Madeleine n’est pas tellement mieux loti, la première ascension ayant dans la plupart des cas servi uniquement à la formation d’une échappée. Reste l’exception 1997. Le Tour est alors ultra-dominé par Jan Ullrich mais l’équipe Festina, soudée derrière un Richard Virenque au sommet de sa gloire, n’est pas résolue à rendre les armes. Virenque pointe déjà à six minutes au général ; la seule option est de faire craquer complètement Ullrich. Dès le pied du col la machine Festina s’enclenche et fait complètement exploser le peloton, au point que le groupe de tête soit réduit à 6 coureurs au sommet ! Jan Ullrich est toujours là, mais perd le contact après une descente laborieuse. Il se relève alors, attend ses équipiers dont son ex-leader Bjarne Riis, avec lequel il reprendra Virenque au pied de l’ultime ascension vers la station de Courchevel. Au sommet l’Allemand ne disputera pas la victoire au français, en récompense de son panache. Le classement général ne change pas mais les dégâts sont énormes : 93 coureurs arrivent hors-délais et devront être repêchés.

Le versant Nord

Probablement le versant le plus difficile. Souvent reconnu par les spécialistes comme un des cols les plus dur des Alpes, très exigeant sur les kilomètres précédent le col du Glandon. De quoi en faire un vrai incontournable du Tour de France. Mais, étrangement, son utilisation se résume à un simple rôle de tremplin vers une arrivée au sommet, d’abord pour l’Alpe d’Huez de 1977 à 2001, puis, depuis son introduction sur le Tour en 2006, pour la Toussuire.

Cela partait pourtant bien. En 1977, pour sa première apparition sur le Tour de France, le Glandon fut plus que décisif. La 17ème étape de ce Tour de France propose un bel enchaînement Madeleine / Glandon / Alpe d’Huez, de quoi faire bouger le général où quatre coureurs se tiennent en 49 secondes. Bernard Thévenet a récupéré le maillot jaune l’avant-veille dans le chrono d’Avoriaz, mais Lucien Van Impe, vainqueur du Tour 1976, ne pointe qu’à 33 secondes et a montré sa condition en remportant ce même contre-la-montre.

A six kilomètres du sommet, à l’entame des plus forts pourcentages du Glandon, le Belge attaque. Il prend rapidement du champ, pour compter 1’25 d’avance sur un trio Thévenet/Zoetemelk/Kuiper au sommet. Les deux Hollandais refusent le moindre relais au maillot jaune qui doit assumer seul la poursuite derrière un Lucien Van Impe déchaîné qui porte son avance à 2’45 au pied de l’Alpe d’Huez. Mais là où Thévenet avait parfaitement géré son effort, Van Impe marque le pas. Aux 5 km, l’homme de tête repris, c’est Kuiper qui attaque le maillot jaune ! Thévenet héroïque d’abnégation parviendra à conserver sa première place au général pour 8 petites secondes en finissant deuxième de l’étape, un écart concrétisé par un second Tour de France quelques jours plus tard.

Lucien Van Impe lui s’écroulera définitivement dans le final, allant jusqu’à se faire percuter une voiture sous le coup de la fatigue, mais se sera posé en maître du Glandon. Un statut renforcé par ses deux passages en tête en 1981 et 1983, où il ne rééditera certes pas son magnifique coup de panache. Depuis, on attend encore une vraie explication entre leaders, en espérant que les coureurs du Tour de France 2015 soient plus enclins à exploiter ce versant si prometteur.

Lucien Van Impe, le spécialiste du Glandon

Lucien Van Impe, le spécialiste du Glandon

Le versant Est

Le versant de la légende. Si les deux autres versants ont finalement rarement joué un rôle décisif, et si ce versant également, englué dans un enchaînement systématique avec l’Alpe d’Huez depuis 1986, n’a depuis plus beaucoup pesé sur la course, il eut le temps en trois éditions de marquer profondément la mythologie du Tour de France.

En 1986, l’étape Briançon – Alpe d’Huez emprunte successivement le Galibier et la Croix-de-Fer. Cet enchaînement est d’ailleurs un classique, puisqu’il sera utilisé cinq fois sur la Grande Boucle (1948, 1986, 1989, 1992, 2008). En 1986, donc, Greg Lemond vient d’enfin endosser le maillot jaune lors du l’arrivée au col du Granon. Hinault a connu une petite défaillance, due notamment à une blessure au mollet. Herrera et Winterberg attaquent dès le Galibier, mais Hinault réagit dans la descente, et dans la courte ascension du Télégraphe contre les deux hommes. Lemond, grand descendeur, revient sur son équipier, et le duo de la Vie Claire se retrouve seul en tête dans la vallée de la Maurienne. Conscient de l’impossibilité de lâcher Lemond, Hinault va choisir d’écraser le Tour à leur avantage. Dans la Croix-de-Fer, il se positionne devant l’Américain, dans la position du gregario, et accroît des écarts déjà notables. Les deux comptent 2’50 d’avance au sommet, 4′ au Bourg d’Oisans, et un peu plus de 5 minutes à l’Alpe d’Huez sur un Urs Zimmermann définitivement distancé pour la victoire finale.

Avant cela, en 1956, la Croix-de-fer avait été encore plus décisive. Walkowiak a beau avoir pris 18 minutes dans l’étape d’Angers, c’est dans l’étape Turin – Grenoble qu’il a été chercher sa victoire en champion. Wout Wagtmans est alors maillot jaune avec quatre minutes d’avance. Mais, dans la Croix-de-Fer, Walkoviak imprime un gros tempo. Au somment, il n’est plus accompagné que de Gaul, Baramonthès, Ockers et Huot. Wagtmans est pointé à une minute. Puis, dans le terrible col du Luitel, Charly Gaul, qui jusque-là avait gardé ses forces, s’envole dès le pied et ira triompher en solitaire à Grenoble. Ockers finira à 3’22, et Walkoviak malgré sa débauche d’énergie dans le col de la Croix-de-Fer (Gaul : « Walkoviak il a roulé trop vite dans le deuxième col, et sur le plat aussi.« ), réussira à accrocher Baramonthès et Nencini pour la troisième place de l’étape, justifiant à la pédale sa prise du maillot jaune. A l’arrière, Wagtmans explose complètement dans le Luitel, et déboursera 16 minutes à l’arrivée. Walkoviak devra encore à résister aux offensives d’Ockers dans les cols du Pilat, puis à Bauvin et Adriaensens sur le contre-la-montre de Lyon, mais c’est bel et mieux sur les pentes de la Croix-de-Fer qu’il est aller chercher, en champion, son Tour de France.

Pourtant, un autre moment est encore plus grand dans l’histoire du col de la Croix-de-Fer, mettant aux prises deux des plus grands champions de l’histoire du cyclisme. L’étape Briançon – Aix-les-Bains du Tour 1948 est apocalyptique. Geminiani : « Le Galibier au milieu d’une tourmente de neige, la Croix-de-Fer dans la gadoue, le col de Porte en plein brouillard et la Chartreuse (Cucheron et Granier) sous la neige. » Les conditions météo sont exécrables, ce qui ne va pas empêcher le duel Louison Bobet / Gino Bartali. Le champion italien a mal débuté son Tour de France, mais dès l’arrivée à Briançon a fait étalage de sa puissance sur les cols de Vars et d’Izoard, tandis que Bobet alors maillot jaune casse son pédalier dans le dernier col. Au départ de Briançon, Bartali n’est plus qu’à 1’06 de Bobet. Trop peu pour que le néophyte français puisse espérer l’emporter. L’ascension du Galibier fait déjà exploser le peloton : Robic et Impanis sont à 12′, Vietto et Lazaridès à un quart d’heure ! A 23 km de la Croix-de-Fer, Bartali attaque. Seuls Bobet et Brulé peuvent suivre. Bartali attaque, encore, à plusieurs reprises. Bobet répond à chaque fois. Au sommet les deux hommes passent ensemble. Puis, dans la descente, Bartali subi une crevaison. Bobet en profite pour filer en compagnie de Brulé. Mais la vallée de la Maurienne est longue, et Bartali qui a reçu du soutien de l’arrière, parvient à reprendre le Français à Grenoble, au pied du col de Porte.

S’en suivra une démonstration du champion italien sur les cols de la Chartreuse. A Aix-les-Bains, Bobet perd 7’09 et le Tour de France. Mais il aura posé les bases de sa légende. Les déclarations de Bartali sont éloquentes : « En un mot, il m’a émerveillé, et, au sommet de la Croix-de-Fer, je n’ai pu m’empêcher de lui dire mon admiration. Quand il aura un peu plus de métier, ce sera un très, très grand champion. Il gagnera le Tour, j’en suis certain. »

Par Bullomaniak
Crédit photo : Wikicommons (Florian Pépellin, Verhoeff, Bert / Anefo) ; Vidéos : INA
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Modérateur: Animateurs cyclisme pro