Écrit le par dans la catégorie Coup de bordure, Edito.

Alors que la saison s’achève tranquillement en ce mois d’octobre, au Tour de Beijing ou sur Paris-Tours, l’actualité cycliste est principalement marquée par l’annonce de la retraite d’Andy Schleck. Le plus jeune des frères luxembourgeois a tutoyé les sommets entre 2009 et 2011, avant une longue traversée du désert qui se conclue par un arrêt prématuré. Andy Schleck aura trainé sa singularité dans le peloton professionnel tout au long de sa carrière, un coureur atypique oscillant entre inspirations de génie et courses calamiteuses. Hommage à un champion qui aura marqué son époque.

 

Avec sa figure de jeune premier et son caractère de gendre idéal, Andy Schleck n’a jamais laissé le public indifférent, admirateurs comme détracteurs. Le grand Luxembourgeois promenait sa frêle carcasse avec aisance et classe dans toutes les ascensions, avec plus ou moins de réussite. Il était logiquement cité parmi les favoris lors de la grand-messe de juillet, le Tour de France, dont il a fini par remporter l’édition 2010 sur tapis vert. Il avait jusqu’alors fini trois fois consécutivement dauphin, entre 2009 et 2011, à la régulière. Il s’était permis en outre d’accrocher en 2009, l’une des plus belles classiques, Liège-Bastogne-Liège, prouvant que son talent n’était pas limité aux seules courses de trois semaines, mais qu’il avait au contraire toutes les caractéristiques pour devenir un champion accompli. Seulement voilà, Andy Schleck est un artiste dont les épaules n’étaient pas taillées pour endosser ce costume. S’il figurait parmi les grimpeurs les plus élégants du peloton, il n’en était pas moins un coureur au mental fragile, capable d’alterner le pire avec le meilleur pour des résultats en-deçà des espérances placées en lui.

 

Des envolées au parfum de nostalgie

S’il est un point qui a souvent fait l’unanimité contre lui, c’est l’absence de sens tactique. Andy Schleck n’a jamais été un fin tacticien. Il ne fait pas partie de cette catégorie de coureurs qui calculent leurs efforts, qui savent tirer parti de la moindre ouverture ou qui maitrisent leur course de bout en bout. Ainsi lorsqu’il annonce qu’il a un plan pour remporter le Tour de France 2010, l’expérience tourne au ridicule. La course restera marquée par l’image d’un maillot jaune tentant péniblement de remettre sa chaîne, dépassé par les évènements alors que son rival s’envolait vers la victoire.

Andy Schleck LBL

Andy Schleck s’envole dans la côte de la Roche aux Faucons

Andy Schleck est au contraire un artiste, qui fonctionne au gré de ses inspirations, parfois couronnées de succès. Deux victoires marquantes de sa carrière resteront son triomphe à Liège en 2009 et au sommet du Galibier sur le Tour de France 2011. A chaque fois, il aura su bluffer les observateurs, en se lançant à corps perdu dans une entreprise potentiellement vouée à l’échec. En mettant toutes ses forces dans la bataille, sans se poser de questions, il aura su déjouer la logique attentiste du cyclisme moderne. Ces deux victoires ont un parfum de nostalgie, à l’image des grands champions d’autrefois qui n’hésitaient pas à se découvrir pour démontrer leur supériorité. Andy Schleck avait la classe pour appartenir à cette catégorie, il ne lui manquait que le mental.

 

Le complexe fraternel

A l’image d’un artiste, Andy Schleck suivait son inspiration, étant à la fois capable de faire preuve de génie ou d’initiative malheureuse. Néanmoins, l’homme avait ses faiblesses, trop tendre pour évoluer dans le milieu hautement concurrentiel et impitoyable du cyclisme professionnel, à l’image d’un artiste dont la sensibilité serait à fleur de peau, aux réactions démesurées face aux agressions de l’environnement. Andy Schleck avait besoin de stabilité, de paix intérieure, pour être à son meilleur niveau. Cette stabilité, il la trouvait auprès de son frère Fränk. L’ainé avait tracé la route, ouvert la voie pour amener son petit frère au meilleur niveau. Il était à la fois l’idole et le guide, celui-ci qui motivait un frère peu enclin à satisfaire aux exigences du haut niveau, à consentir à la rigueur et aux sacrifices que cela exige. Andy ne pouvait pas être totalement à son aise si Fränk n’était pas là, tout comme il n’était pas prêt à l’abandonner sur le bord de la route pour son profit personnel.

Andy et Frank Schleck

Andy et Frank Schleck ensemble, une image souvent vue sur les courses.

C’est un trait de caractère qui a souvent été raillé et qui lui a certainement coûté quelques victoires. Néanmoins, il n’a jamais réussi à forcer sa nature. Johan Bruyneel a bien essayé en 2012, alors que Léopard fusionnait avec Radioshack, de le bousculer. Ce fut un échec retentissant. Andy Schleck n’était pas homme à changer, il fallait le considérer en entier avec toutes ses qualités et tous ses défauts. A la suite de cet échec, il n’a jamais refait surface. Il n’était pas aidé par la suspension que purgeait son frère entre 2012 et 2013. Depuis cette date, le ressort semblait s’être définitivement cassé. L’artiste avait perdu son inspiration après une période faste et c’est fort logiquement qu’il se dirigeait vers une sortie par la petite porte et une retraite précoce.

 

Aujourd’hui, Andy Schleck nous manquera certainement. Si cela faisait trois ans qu’il avait disparu des sommets, beaucoup d’entre nous avaient encore le secret espoir de le revoir au plus haut niveau. Andy Schleck nous manquera car il avait un profil atypique, capable d’audace et d’envolées lyriques, à contrario de bien d’autres champions d’aujourd’hui. Andy Schleck était profondément humain, au travers de tous ses défauts. S’il était incapable d’évoluer dans le milieu compétitif du sport de haut niveau, il était capable d’apporter son grain de folie et de rendre la course imprévisible. Si Andy Schleck n’était pas un cycliste, il serait un poète. Il serait Rimbaud, il serait Baudelaire.

Merci pour tout, Andy.

Adieu l’artiste.

 

Par CSC_3187, crédits images : Vincent Lefèvre (Reflexephoto.free.fr), LesMeloures et VirtKitty pour Wikimedia Commons

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