Écrit le par dans la catégorie Coup de bordure, Edito.

Nous avons déjà sur ce site livré deux articles critiquant les parcours de deux courses italiennes emblématiques : l’un sur Milan San Remo, l’autre sur le Tour d’Italie. Mais à y regarder de plus près, on peut trouver matière à critique sur les quatre grandes courses organisées par RCS (l’équivalent italien de ASO) à savoir Tirreno-Adriatico,  Giro, Milan San Remo et Tour de Lombardie.

Le cloisonnement des spécialités

En 2011, la ville d’arrivée du Tour de Lombardie fut changé, passant de Côme à Lecco. Après tout le chose est courante dans l’histoire de cette classique et son patronyme de Tour de Lombardie n’impose pas un parcours identique tout les ans. Seulement, d’un parcours où la course se décantait loin de l’arrivée suivant un scénario incertain, on est passé à la victoire systématique d’un coureur s’extrayant du peloton dans la dernière difficulté. Si les offensives précoces ne sont pas nécessairement vouées à l’échec – la résistance des raids solitaires de Voeckler en 2013 et Nibali en 2011 tendent à le prouver – le nouveau tracé n’incite pas le peloton à prendre des risques. Surtout il impose la victoire d’un unique type de coureur, un puncheur-grimpeur.

C’est là le nouveau travers des courses italiennes : la standardisation. Exemple phare, Milan San Remo où l’introduction programmée de la Pompeiana va transformer la classique en « ardennaise », loin de sa belle singularité, loin de l’incertitude quant au scénario et au nom du vainqueur. Là où le panel des prétendants à la victoire allait de Nibali à Cavendish en passant par Cancellara, le nouveau tracé perd son éclectisme pour devenir la chasse gardée d’un unique type de coureur, le puncheur, ceux-là même qui se jouent la victoire un mois après sur l’Amstel Gold Race. Sur les courses par étapes, on peut aussi constater que les journées sont de plus en plus cloisonnées entre celles destinées aux grimpeurs et celles destinées aux puncheurs.

Tirreno-Adriatico renforce année après année la présence de la montagne. Au début des années 2000, cette épreuve multipliait les arrivées au sprint et se jouait surtout sur le contre-la-montre. La durcir ne pouvait qu’être une bonne idée. Mais après avoir été une épreuve jouant sur des reliefs accidentés, la course entre deux mers impose de plus en plus d’arrivées au sommet, réduisant les chances des puncheurs pour jouer la carte des spécialistes des grands Tours capables d’exceller en montagne comme en contre-la-montre. Sur le Giro les étapes sont désormais cloisonnées entre celles destinées à un sprint massif et celles destinées aux grimpeurs. Le profil donne l’idée : l’une est parfaitement plate, l’autre comprend une arrivée en côte.

L’intérêt historique des courses italiennes vient de leur singularité. Elles sont différentes. Elles ont leurs propres règles, leur propre atmosphère et surtout ne se déroulent pas selon les règles en vigueur sur les autres courses. La standardisation actuellement effectuée par RCS brise ce schéma. Le Giro se banalise dans l’enchaînement des courses de côte, le Tour de Lombardie ne connaît plus qu’un unique scénario, Milan San Remo va devenir une classique banale, Tirreno-Adriatico devient une course par étape comme une autre. Si cela se faisait au profit du spectacle, on pourrait l’accepter, mais les courses italiennes se rapprochent dangereusement de l’idée d’ennui.

Le grand départ à Belfast, un bel exemple de la standardisation de la plaine

Le danger de l’ennui

Le dernier Giro a été un très flagrant échec en terme de spectacle. Pierre Rolland excepté, les favoris patientaient jusqu’aux derniers hectomètres des arrivées au sommet. Le reste des étapes n’ont pas présenté un grand intérêt non plus. Sur Tirreno-Adriatico, à l’exception d’une étape, la course ne fut jamais intéressante. Les étapes de plaine étant attribuées aux sprinteurs, parfois aux baroudeurs, celles-ci ne furent ni attractive ni passionnantes. La détermination franche d’une étape pour une catégorie de coureur bride les autres qui ne cherchent même plus à faire la course, tandis que ceux concernés par cette étape ne cherchent plus qu’à minimiser leurs efforts.

Le même travers peut s’affirmer sur les classiques. A quoi bon attaquer de loin sur le Tour de Lombardie si l’on sait qu’un peloton pourra s’organiser derrière. A quoi bon tenter l’aventure sur Milan San Remo si le final est destiné aux seuls puncheurs ? Les parcours réduisant les possibilités, les coureurs sont incités à se conformer à un unique scénario imposé plutôt que d’en tenter d’autres. Les parcours tracés par RCS semblent répondre à une logique marketing. Milan San Remo plus difficile serait plus prestigieux, Tirreno-Adriatico gagnerait à voir sa victoire se jouer entre futurs favoris au Tour de France, le Giro avec ses innombrables arrivées au sommet et son faible kilométrage de contre-la-montre sacrerait à coup sûr un pur grimpeur et le Tour de Lombardie s’assurerait de l’arrivée d’un coureur en solitaire.

Cela dit, il est délicieux de constater que le Tour d’Italie s’est joué dans une descente et non par exemple dans le très mal positionné Zoncolan. Tirreno-Adriatico également a été à l’encontre des scénarios attendus avec la superbe attaque de Contador dans le Passo Lanciano. Ces deux faits de course ont eu lieu parce que les coureurs ont perçu une opportunité, rare, de briser les schémas de course prévus à l’avance. Le passo Lanciano était certes loin de l’arrivée mais c’était la meilleure occasion pour Contador de distancer Kwiatkowski et de s’assurer le général. La descente du Stelvio était propice à faire des écarts sans risquer de gros retour de bâton, les autres leaders n’ayant pu conserver un collectif suffisamment fort auprès d’eux après les deux premiers cols.

Ces deux étapes prouvent encore la possibilité pour RCS de sortir quelque chose de grand, où les possibilités offertes sont favorables au spectacle. Des découvertes récentes comme les strade bianche démontrent aussi la possibilité pour RCS de se renouveler.  Un parcours bien tracé reste la meilleure chance d’assister à une course de légende. Tandis qu’ASO innove, cherche, expérimente de nouveaux tracés, RCS multiplie les choix de parcours contestables au risque de perdre non seulement l’âme de ses courses, mais aussi, à terme, l’intérêt du public.

Et vous, êtes-vous d’accord avec cette analyse ? La pensez-vous exagérée ou non ? Venez en parler sur notre Forum !

Article rédigé par Bullomaniak (crédit photo : Wikicommons – Ardfern)

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