Écrit le par dans la catégorie Coup de bordure, Edito.

Chris Horner vient de triompher du classement général de la Vuelta 2013. L’Angliru a été le témoin de son ultime bataille contre Vincenzo Nibali. Or, tout comme Froome au Tour de France, un grand doute plane sur les performances de l’américain. Certains points vont en sa faveur, d’autres lui sont défavorables. Il convient de les éclaircir. La démarche n’est pas inquisitoire. La présomption d’innocence, l’absence de faits compromettant laissent espérer en la netteté de l’américain.

 Un parcours chaotique

Après une belle carrière amateur, Chris Horner rejoint la FDJ en 1997 pour trois saisons. Il peut afficher quelques résultats comme une troisième place à Plouay mais quitte le monde européen pour retourner aux États-Unis. L’intégration a été difficile et Horner conservera un mauvais souvenir de son expérience au sein de l’équipe française.

Il passe alors quatre années au sein de formations américaines. Cela ne l’empêche pas de remporter de belles courses : tour de Langkawi et route Adélie en 2000, plus quelques classiques américaines ce qui lui permet notamment de se classer premier trois années de suite de l’USA Cycling National Racing Calendar. Le calendrier moins chargé d’Amérique du Nord limite ses jours de courses à 50 dans l’année. Il revient en Europe fin 2004, conseillé par Alain Gallopin, au sein de l’équipe Saunier-Duval.

C’est alors le renouveau de sa carrière, débutant avec une belle 8ème place au championnats du monde de cette même année. Il se classe 5ème du tour de Suisse en 2005 puis passe deux années au service d’Evans à Davitamon-Lotto, ce qui ne l’empêche pas de se classer 15ème du Tour de France ou 8ème de Liège-Bastogne-Liège. Il loupe de peu la victoire finale en 2006 et 2007 au Tour de Romandie. Il rejoint ensuite Astana en 2008.

Il connaît deux années difficiles où il se blesse souvent. Il affiche une belle condition au Giro 2009 où il suit les meilleurs avant de devoir abandonner. Il se classe deuxième du tour de l’Ain mais doit renoncer à la Vuelta. Vient alors 2010 et un déluge de résultat : présent dans le top 10 des trois classiques ardennaises, vainqueur incontestable au Pays Basque devant Valverde, 9ème du critérium du Dauphiné.

2011 s’annonce sous les meilleurs hospices. 3ème en Catalogne, 2ème au pays Basque, il s’annonce comme un des favoris au Tour 2011 après avoir écrasé le tour de Californie, distançant facilement Schleck et Leipheimer en montagne. Il déclara à cette époque que seul Contador pourrait le battre. Une chute l’empêcha de concrétiser cette forme.

En 2012 il revient après 8 mois sans compétition et termine second derrière Nibali à Tirreno-Adriatico. Il termine 13ème du tour en déboursant beaucoup de temps sur les chronos. Début 2013 il finit sixième de Tirreno avant de chuter encore et de se préparer pour la Vuelta.

41 ans et demi : considérable, non ? 

Chris Horner est venu au cyclisme professionnel sur le tard. Cela explique une certaine longévité et la conservation d’importantes facultés au-delà des quarante ans. Poulidor, Zoetelmelk, Jens Voigt avant lui ont montré une superbe carrière dans leurs vieilles années. Tous ont la particularité d’être venus tardivement au vélo. Leur carrière professionnelle commença autour de leurs 25 ans. Horner connut aussi de nombreuses années peu remplies, soit pour causes de blessures, soit courant en Amérique un nombre de jours réduit.

La longévité de Chris Horner s’explique facilement. On peut également situer ses meilleures années en amont, entre 2009 et 2011, là où ses résultats furent les plus denses et où ses démonstrations en course furent les plus marquantes avant cette Vuelta. Au vu de ses références antérieures et de sa carrière tardive, voir Horner effectuer de belles ascensions n’est pas inconcevable. Le voir triompher aisément d’un Vincenzo Nibali est une autre affaire. La chose est toujours possible mais extraordinaire au sens littéral du terme, c’est-à-dire unique.

Mais un point s’avère plus compromettant. Horner peut avoir eu un énorme potentiel non-exploité. Il peut avoir conservé une partie importante de son meilleur niveau. Mais le corps humain, aussi bien conservé soit-il, vieillit et ne peut plus garder tous les avantages de la jeunesse. En particulier la récupération. Si les vieux coureurs en course limitent leur effort au maximum, ce n’est pas seulement par expérience, c’est aussi par nécessité.

La vieillesse prive d’une partie des capacités de récupération. Thibaut Pinot en est une excellent exemple, exténué lors de la 19ème étape et pourtant 5ème des favoris le lendemain en haut de l’Angliru. Or, Horner n’a jamais connut de défaillance, jamais montré de signe de lassitude. Horner fut d’une régularité exemplaire sur cette Vuelta, dominateur en montagne dès la première semaine. Les trois étapes des Pyrénées furent extrêmement éprouvante. Nibali en fit les frais. Pas Horner.

Chris Horner

Un style particulier 

Horner a définitivement un style qui lui est propre. Le plus souvent sur des braquets énormes, toujours en danseuse, l’américain marque par son originalité. Beaucoup s’interrogent sur cette possibilité de monter des cols sans s’asseoir un instant. Ce n’est pourtant pas impossible, ni inhumain. La chose se retrouve plus souvent en amateur. Les pros sont conscient de la meilleure efficacité, la plus sûre accessibilité de la position assise. Des coureurs comme Froome en usent au maximum. La position haute n’est pourtant pas intenable à force d’entraînement. Un travail régulier devra être fait tant sur le haut du corps que sur le plan cardiaque, la danseuse provoquant au départ une montée des pulsations.

Voir un coureur monter debout sur les pédales n’est pas inquiétant. Il y perd en aérodynamique – d’où par exemple la performance limitée de Horner dans le contre-la-montre – mais cela importe peu dans les pourcentages exigeants des cols de la Vuelta où au contraire le coureur pourra développer davantage de force, la jambe se dirigeant mieux vers le pédalier. Une contrepartie subsiste néanmoins : mettre un gros braquet.

Tenir en danseuse sur de longues distances nécessite une résistance plus grande. Le coureur devra employer un développement plus important. Pour un effort de courte durée, la chose n’a guère d’importance. Mais cela compromet la récupération. Tourner les jambes reste la meilleure méthode pour éliminer les lactates présentes dans les muscles. Un gros braquet tend à les accumuler, à rendre plus précoce l’essoufflement, à rendre plus compliqué le repos sur trois semaines de grand tour.

Chris Horner pourtant n’a jamais baissé de rythme, jamais affiché la moindre défaillance, restant à chaque fois à proximité des autres leaders, quand il ne les distançaient pas franchement. Cet inconvénient technique couplé à l’âge du coureur, et donc à sa capacité de récupération théoriquement plus faible, n’a pas eu d’incidence sur la marche en avant du sociétaire de la Radioshack. Le scepticisme devient légitime.

Fatigué moi ? Jamais !

Chris Horner avait remporté la troisième étape. Prenant le maillot rouge, celui-ci déclara vouloir le garder jusqu’à Madrid. Le public gloussa, estimant impossible de voir le vieil américain tenir des Valverde ou des Nibali. Et pourtant. Dès la première vraie étape de montagne Horner s’envola, laissant impuissant les favoris annoncés. Basso tenta bien d’y aller, mais incapable de boucher le trou provoqué par Horner il renonça, tentant de se reconcentrer sur ses compagnons du jour. Au sommet l’écart fut considérable, au-delà de la minute. Nibali seul avait su s’extirper du groupe des poursuivants. Relégué à 50 secondes à deux kilomètres, il ne put boucher le moindre écart, sinon profitant du petit relâchement accordé à la victoire de l’américain.

Le reste fut du même acabit. Soit Horner, ne montrant aucune faiblesse, accrochait facilement les autres favoris, soit il les humiliait en montagne, faisant péter Nibali et Rodriguez de la roue à Pena Cabargas. Il contrôla les derniers sursauts de Nibali dans l’Angliru. On aurait pu espérer la moindre journée difficile. Jamais elle n’eut lieu.

Sa plus mauvaise journée fut le contre-la-montre. Pur grimpeur, donc limité face à un Nibali coureur complet, il déboursa 1’29 sur le Sicilien. C’est peu. C’est peu surtout au vu des paramètres qui ont handicapé l’américain sur cette étape. Horner fit son chrono en danseuse. La perte en aérodynamisme est considérable. La perte en temps d’autant plus. Il connut aussi des problèmes de combinaison irritante et une guêpe rentra dans sa bouche. On peut tout simplement considérer son chrono comme excellent.

Horner ne fut jamais prit en défaut. Quelques erreurs tactiques et techniques peuvent lui être imputées. Mais sa force physique fut inébranlable. Pas un instant de relâchement, de mince fatigue, si ce n’est à Andorre où, touché par le froid, il ne put distancer Nibali. Dans les plus grosses difficultés il fut toujours au-dessus du lot. A 41 ans une telle puissance laisse rêveur. Froome au tour connut lui-même des jours difficiles. Il est vrai qu’Horner n’a pas eu à supporter le port du maillot rouge. Cela reste extrêmement impressionnant.

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Suspect naturel

Depuis l’affaire Festina, considérer le vainqueur d’une course cycliste comme nécessairement dopé est monnaie courante. Horner n’échappe pas à la règle. Sa domination insolente, son âge avancé, ses références présentes mais limitées, en font une cible évidente. Comme Froome il donne l’impression d’avoir changé de dimension trop rapidement. Certaines de ses performances annonçaient de grandes capacités de grimpeur. Le tour de Californie 2011 fut sans doute la place de sa plus impressionnante démonstration.

Mais le dopage n’est généralement pas quelque chose qui vient aussi tard. Si Horner est dopé aujourd’hui, il est probable qu’il le fût aussi dans les années précédentes. Il n’évolua pas toujours dans les milieux les sains, présent dans l’équipe Saunier-Duval en 2004-2005, puis aux côtés de Lance Amstrong en 2009. Mais d’autres ont aussi de tels parcours sans être tombés dans la triche. Il est surtout certain qu’Horner par ses blessures et son travail d’équipier a manqué des occasions.

Il est maintenant inscrit au palmarès du tour d’Espagne. Or, la confiance en ce coureur est assez basse devant la démonstration imposée. Sa fraîcheur n’est pas une bonne excuse. Basso, ancien vainqueur du Giro, remplissait cette condition sans dominer en montagne. L’adversité n’est pas non plus à remettre en cause. Nibali, Valverde ont sur cette Vuelta le niveau pour s’inscrire dans un top 5 au Tour. Ils sont pourtant impuissant face à l’américain, dont on s’interroge sur les réelles limites, sur une confrontation face à des Froome ou des Quintana. On peut quand même estimer que ceux-ci le domineraient. Mais Horner vaut bien une quatrième place au Tour.

De fait, il n’existe qu’une solution pour qu’Horner soit un coureur propre. Ce n’est pas la plus joyeuse. Horner, pour réaliser de telles performances, doit être un immense talent. En fait, vu son âge, il devrait être un talent plus qu’immense. Considérer qu’Horner est propre, c’est considérer qu’il pouvait être potentiellement plus fort encore dans ses jeunes années. C’est donc considérer qu’Horner aurait pu être le meilleur grimpeur des années 2000, dont le talent aurait été gâché par sa carrière tardive et son emploi d’équipier, et que la Vuelta acquise cette année n’est qu’une mince compensation.

Et vous, quel est votre avis ? Avez-vous des doutes sur Horner ou êtes-vous convaincu de son honnêteté ? Venez en parler sur notre forum !

Par Bullomaniak

Merci à Panzer pour les références d’Horner en compétition

Crédit photo : Richard Masoner/Cyclelicious (Wikipedia Commons), Laurent Brun, Ludovic Péron (Wikipedia Commons)

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