Écrit le par dans la catégorie Analyses, Coup de bordure.

Après le spectacle de la route, il est temps de décrypter l’étape par les chiffres. Pour cela, nous allons revenir sur la puissance développée par les coureurs lors des deux ascensions du jour. Cette grandeur physique fait déjà partie du quotidien des cyclistes, mesurée en course comme à l’entraînement pour planifier leur préparation, gérer leurs efforts et évaluer leur progression. Ils disposent pour cela d’un capteur de puissance directement intégré à leur pédalier, pour relever l’effort à la source. N’ayant pas accès à ces données, nous avons toujours la possibilité avec un chronomètre et de la physique élémentaire de calculer une valeur approchée, représentative de la réalité.

Les calculs de puissance ont été popularisés en particulier par Cyclismag, entre 2006 et 2010. Ils offraient une vision différente de la course, mesurant plus objectivement la performance qu’une simple impression visuelle et permettant de comparer les performances d’une année sur l’autre. Ils ont en outre réalisé des calculs sur des étapes plus anciennes pour une évolution sur le long terme. Dans les années 80, les vainqueurs du Tour flirtaient avec les 400W de moyenne dans les grands cols. Avec l’arrivéee de l’EPO dans les années 90, cette valeur a explosé, grimpant jusqu’à 450W. Depuis 1998 et l’affaire Festina, la tendance reste haute, à l’exception de 1999 et 2006, éditions marquées par des absences notables chez les favoris.

En 2011, une nouvelle baisse a été constatée. Cadel Evans n’affichait plus que 406 W au compteur. Cette baisse s’est confirmée en 2012, malgré une légère hausse. Bradley Wiggins développait 415 W, étant encore relativement éloigné de certains records. Il n’était cependant pas le plus fort, bridant son équipier Christopher Froome. Ce dernier étant maintenant seul leader à bord, les performances moyennes continueront-elles de se stabiliser ou repartiront-elles à la hausse ? Nous allons le savoir tout de suite.

Port de Pailhères

Avant de s’intéresser à l’ascension finale, décryptons la montée de Pailhères pour donner le tempo de l’étape. A première vue, le peloton a réalisé une montée soutenue, mais sans vitesse excessive. Membre de l’échappée matinale, Christophe Riblon a longtemps résisté au train de la Sky et quelques attaques ont pu se développer. Le tempo s’est accéléré après le démarrage de Nairo Quintana et la Sky n’a pas voulu trop lui laisser de marge de manœuvre. Une fois le sommet franchi, le verdict du chronomètre a parlé, 46’53 pour Quintana. Le peloton passait à son tour une minute plus tard. Le peloton a donc pratiquement mis 48 minutes pour réaliser d’un col dont le record est détenu par Jan Ullrich. En 2005, Vinokourov dynamitait la course dès le pied du col et Ullrich s’isolait ensuite avec ses rivaux Armstrong et Basso. A l’époque, le trio n’avait mis que 44’16 pour avaler la pente, 3’40 de moins. Le calcul confirme cette première impression visuelle. Avec 394 W développés durant trois-quarts d’heure, Nairo Quintana n’a pas chômé, bien qu’il en ait gardé sous la pédale Avec 10W de moins et bien à l’abri dans le peloton, les favoris se sont échauffés pour l’ascension finale.

Ax 3 Domaines

Contrairement aux années précédentes, la course s’est rapidement décantée dans l’ascension finale menant vers le Plateau de Bonascre. En 2010, Andy Schleck et Alberto Contador s’étaient notamment livrés un duel psychologique intense, en se laissant volontairement décrocher. Cette année, Sky n’a pas voulu temporiser. Après un bon travail collectif dans la descente, Peter Kennaugh a embrayé dès le pied de la montée finale. Sky voulait lessiver ses adversaires comme elle l’avait déjà fait en 2012 lors de l’étape arrivant à la Planche des Belles Filles. Peter Kennaugh cédait rapidement sa place à Richie Porte dont l’effort suffisait à créer une forte sélection. Contador, Valverde et Kreuziger s’accrochaient tant bien que mal, alors que Froome semblait clairement au-dessus du lot. Cette impression visuelle se confirmait lorsque le Britannique attaquait et décramponnait tout le monde. Il donnait cette impression de voler sur la route et de dégager une grande puissance. Les chiffres le confirment immédiatement puisqu’il échoue à quelques secondes du record de l’ascension, signé Roberto Laiseka en 2001. Sky complète un excellent tableau puisque Richie Porte est le seul à être resté sous la minute, confirmant ainsi son statut d’équipier de luxe et de leader potentiel. Derrière, tous les favoris ont donné l’impression de craquer et de piocher jusqu’au bout pour limiter les dégâts bien loin de l’aisance du Britannique.

Avec 445 W, culminant même à 455 W en enlevant le faux-plat final, Christopher Froome assomme d’entrée ce Tour et signe une performance que l’on croyait devenue impossible en 2011 et 2012. Bien qu’il affirme le contraire, le Britannique pourra difficilement éloigner la suspicion de sa performance, en signant des performances dignes de certains coureurs confondus, tels Lance Armstrong ou Michael Rasmussen. Pour mémoire, les spécialistes considèrent qu’un coureur dépassant 410 W sur un effort long dans une étape de haute montagne entre dans la zone suspecte. Compte tenu de la configuration de l’étape, une ascension finale courte et un début relativement facile, il n’est pas anormal de voir certains coureurs dépasser ce chiffre. Les proportions atteintes commencent à relever elles du miracle.

Avec 426 W, Richie Porte montre une aisance surprenante pour un coureur qui n’avait que rarement joué les premiers rôles dans un grand tour, de surcroît le Tour de France. Il confirme un début de saison bien rempli et un statut de leader en puissance. Chris Froome a déjà creusé un écart avec ses rivaux. Les chiffres montrent qu’ils n’ont pas été ridicules mais certains restent bien loin de leur meilleur niveau. De retour de suspension, Alejandro Valverde et Alberto Contador font partie de ceux-là, nous ayant habitué à beaucoup mieux. Ceci laisse à penser qu’ils ont fait amende honorable de leurs erreurs passées. Nairo Quintana a paru très à l’aise même s’il a payé les efforts solitaires consentis depuis Pailhères. Le Colombien réalise une bonne performance d’ensemble à 400W, alors qu’il avait potentiellement les moyens d’accompagner son leader, voire Richie Porte en jouant la course d’attente. Plus en retrait, Andy Schleck peine à retrouver son niveau tandis que Cadel Evans connait une journée sans. Pour eux, l’enchainement était de trop, puisant déjà partiellement dans leurs réserves dès le Port de Pailhères quand Froome ne dépensait presque rien.

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Que pensez-vous de ces chiffres et de la performance de Chris Froome ? Les Alpes seront-elles le terrain de performances similaires ou le Britannique s’est-il déjà beaucoup donné pour assommer ses rivaux ? Qui a connu, selon vous, un jour sans et serait alors capable de hausser son niveau dans les jours prochains ? Venez débattre des puissances de ce Tour de France et de la physionomie de la course sur le forum.

Par CSC_3187, photo Maxime Lafage.

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