Écrit le par dans la catégorie Coup de bordure, Edito.

Le 24 juin dernier, alors que le départ prochain du Tour de France domine l’actualité, le journal L’Equipe dévoile son scoop, le contrôle positif à l’EPO de Laurent Jalabert lors de l’édition 1998. L’ancien champion français a été confondu par le travail de la commission d’enquête sénatoriale sur l’efficacité de la lutte anti-dopage, pour laquelle il avait d’ailleurs été appelé à témoigner. S’appuyant sur une analyse anonyme des échantillons effectuée par l’AFLD en 2004, à des fins expérimentales, la commission a recoupé les informations des PV pour remonter jusqu’au coupable. L’affaire touche un coureur populaire qui a su se reconvertir en consultant apprécié et qui s’était jusque là préservé des rumeurs. L’intéressé a depuis démissionné de son poste, remplacé par Cédric Vasseur, reconnaissant seulement à demi-mots avoir pris des produits. Cette nouvelle affaire suscite surtout de nombreuses réactions parmi les acteurs d’un sport trop souvent vu sous le prisme du dopage.

 

Hinault : « On veut tuer le Tour »

Elles sont quasiment unanimes, des réactions agacées que le cyclisme soit une nouvelle fois le bouc-émissaire de la lutte anti-dopage, alors que les autres sports passent entre les gouttes. A moins d’une semaine du départ du Tour de France, le cyclisme est sous les feux des projecteurs. La plus grande course de la saison attire les médias et on ne peut s’empêcher de penser que le timing est parfait pour sortir une telle révélation et s’attirer la meilleure audience possible. Le cyclisme se sent sali et le message passe mal. La réaction la plus virulente est à mettre au crédit de Bernard Hinault, qui annonce tout simplement que l’on veut tuer le Tour en ressortant des affaires vieilles de quinze ans. Le peloton professionnel n’est lui-même pas en reste, sortant de sa réserve à l’entame de la course, sortant de ses gonds suite à une énième provocation de Lance Armstrong, affirmant en réaction à cette affaire, qu’il était de toute façon impossible de gagner le Tour sans dopage. En conséquence, cinq coureurs, Jens Voigt, Jérémy Roy, Jérôme Pineau, Luis Angel Mate et Samuel Dumoulin, ont rencontré l’actuelle Ministre des Sports, Valérie Fourneyron, peu avant le départ de la course, dans l’espoir de s’offrir plus de sérénité et de ne plus se faire montrer du doigt comme les mauvais élèves en matière de dopage. Cette rencontre s’est pour l’instant soldée par un échec, la Commission Sénatoriale affirmant son indépendance et sa volonté de poursuivre ses travaux avec le calendrier prévu. Le rapport final devrait donc être publié le 18 juillet, jour de l’étape reine arrivant à l’Alpe d’Huez.

Devoir de vérité ou droit à l’oubli ?

Au cours de son travail, la Commission a eu accès aux résultats des échantillons de 1998 testés en 2004 par l’AFLD. A l’époque, il s’agissait de fiabiliser anonymement le test de détection de l’EPO en utilisant des échantillons où l’on était sûr de trouver des traces de ce produit. Les sénateurs ont poursuivi la démarche en croisant les résultats avec les procès-verbaux d’époque pour dresser la liste des coupables. Cette liste doit figurer dans le rapport qui sera publié le 18 juillet et elle suscite bien des craintes. La révélation n’est pas fracassante en soi. En 1998, le dopage à l’EPO était une pratique généralisée au sein du peloton. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que des coureurs de cette époque soient confondus quelques années plus tard. Cette démarche interroge cependant sur l’objectif du travail de la Commission. Est-il nécessaire d’identifier nommément les tricheurs de 1998 pour améliorer l’efficacité de la lutte anti-dopage ? Le cyclisme est un des rares sports à s’employer dans la lutte anti-dopage et il en paie le prix fort par les scandales réguliers qu’une démarche efficace révèle inévitablement. Les évènements récents ont prouvé que le cyclisme avait traversé une période noire lors des deux dernières décennies. Il est maintenant temps de se tourner vers l’avenir sans pour autant tirer un trait sur le passé. Ethiquement, il serait préférable de faire la lumière sur les résultats de ce sombre passé et d’identifier tous les tricheurs pour ne pas les laisser dans les palmarès alors qu’ils ne le méritent pas. Cependant, revenir sur le passé risque de ternir l’avenir. Les scandales d’une époque que l’on veut imaginer révolue jettent toujours l’opprobre sur les efforts actuels, salissant un sport en quête de rédemption et qui aurait simplement besoin qu’on lui fasse confiance. Il serait alors préférable d’enterrer le passé, de renoncer à poursuivre tous les tricheurs et d’émettre une réserve sur les résultats dans leur globalité. Faut-il s’en tenir au devoir de vérité, malgré ses conséquences, ou s’offrir un droit à l’oubli, bien que cela signifie passer l’éponge sur des actes condamnables ?

Par CSC_3187, photo Eric Houdas CC-BY-SA-3.0-2.5-2.0-1.0, via Wikimedia Commons.

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